Ecrire des vers à vingt ans, c'est avoir vingt ans.
En écrire à quarante, c'est être poète.
Francis Carco 

La poésie gourmandise

La fin de la faim de l'ogre
de Christian SATGÉ


Ce soir, Monsieur l’Ogre a fait maigre
Car il n’avait pour son dîner
Que dix poulets sauce vinaigre,
Cinq cochons de lait boudinés ;
Trois croustillants pâtés en croûte,
Deux cassoulets, une choucroute,
Plus quelques gâteaux bien nappés,
Couverts de chocolat râpé.
Le gourmand lèche son assiette
Pour ne pas laisser une miette !…
Soudain, il se sent oppressé ;
Entend, sur sa chaise affaissée,
Son bel estomac qui gargouille.
Son ventre, ma foi, se barbouille…

Ça empire : il a mal à en crever.
On appelle un docteur à son chevet :
« Aïe, mon petit bedon me fait violence !
- Dîtes plutôt “gros bidon”, Excellence !
Je ne voudrais pas vous désespérer
Mais il faut, sans tarder, vous opérer,
Vider votre ventre et… vous tempérer ! »
Aussitôt dit, il découpe sa panse
Et le soulage enfin, comme on le pense,
De son souper et… de son déjeuner :
Salade aux p’tits lardons nouveau-nés,
P’tits loups marinés, bouts d’choux gratinés,…

Et, depuis, sa pauvre bedaine
Ne fait plus aucune fredaine.
L’ogre crie famine parfois
Car, l’homme de l’art, droit et froid,
A prescrit un jeûne et la diète :
Finis rillettes de fillettes,
Soufflets de mouflets aux baies bées
Et toute becquée de bébés !
Plus de droles à la casserole,
Marmites à marmots qui rissolent,
Gosses en sauce, gamins braisés,
Ou fricassée de marmousets !
Terminés les mioches en brioches,
Enfants en civet, à la broche !

De ce jour, maîtres et parents
Regrettent qu’à la sotte engeance
Qui tarde à quitter son enfance
Ce croque-mitaine effrayant
Soit devenu indifférent.
Peste soit de cette malchance,
Car ça vous soulageait, parfois,
Ces gros goinfres-là, autrefois !

 

 

Poèmes pressés
de Bernard FRIOT


Alors commençons :

Je t’aime comme si

Et comme ça

 

Salsifis

Et rutabaga

 

Salé poivré

Très épicé

 

Grillé doré

Ou crudité

 

Salade de fruits

Pizza raviolis

 

Ananas et poule au riz

Sans oublier

 

Trois cuillerées

De crème fouettée

 

Ah oui

L’amour me donne

De l’appétit

 

A la petite épicerie
de Maurice CARÊME


A la petite épicerie,
On trouve de tout, oui, de tout :
Du sel, des clous, de la vanille,
Du pain de seigle, du saindoux.


A la petite épicerie,
On trouve de tout, oui, de tout.
Et lorsque c'est la jeune fille
Qui vous demande tout à coup :
"Mon bon Monsieur, que voulez-vous ?"


On dirait que le soleil rit
Entre les pommes et les choux,
Dans la petite épicerie
Où l'on a chaque fois envie
De répondre en tendant ses sous :
"Je voudrais de tout, oui, de tout ."

 

Sortilèges en cuisine
de Ombrefeuille


Hélàs … Il me faut préparer,

Sans plus attendre ni tarder,

Les mille-et-un plats d’un dîner …

 

Je saisis une casserole,

Mais d’humeur fantasque et frivole,

Par la fenêtre elle s’envole !

 

Le saladier qui somnolait

Sur son étagère, en retrait,

Prétend danser le menuet !

 

Voici soudain que la spatule,

Se trouvant terne et ridicule,

S’en va tourner sur la pendule !

 

Entre les légumes tranchés

Et tous ces agrumes pressés,

Mes dix doigts se sont enrhumés !

 

Les épices, les aromates,

Eternuent parmi les tomates

Dont les couleurs sont bien trop plates !

 

Qu’a donc la branche de cerfeuil

A faire soudain un clin d’œil

Au chat qui guette sur le seuil ?

 

Où diantre est passée la passoire ?

Je le demande à l’écumoire,

Mais elle a des trous de mémoire !

 

Le buffet chante un opéra,

D’un timbre léger de castrat,

Pour la fourchette posée là !

 

Et c’est une élégante tasse

Qui lance d’une voix de basse :

« Du calme, sinon je me casse ! »

 

La louche siffle la mi-temps,

Et les couvercles turbulents

Se disputent la clef des champs !

 

Quelle est donc cette ronde folle,

Plus vive qu’une farandole,

Où tout s’ébranle, où tout s’affole ?

 

C’est ce vieux farceur de couteau

Qui fait la cour au pichet d’eau

Sur un rythme de flamenco !

 

Peut-il se voir audace pire

Que celle de la poêle à frire ?

Car c’est de moi qu’elle ose rire !

 

C’est dit ! Je rends mon tablier,

Il serait bien vain d’essayer

De cuisiner ! Ils ont gagné.

 

Je romps avec ces artifices,

Sortilèges et maléfices !

Je rejoins les Muses propices …

 

Le marché
de Albert SAMAIN


Sur la petite place, au lever de l’aurore,
Le marché rit joyeux, bruyant, multicolore,
Pêle-mêle étalant sur ses tréteaux boiteux
Ses fromages, ses fruits, son miel, ses paniers d’oeufs,
Et, sur la dalle où coule une eau toujours nouvelle,
Ses poissons d’argent clair, qu’une âpre odeur révèle.
Mylène, sa petite Alidé par la main,
Dans la foule se fraie avec peine un chemin,
S’attarde à chaque étal, va, vient, revient, s’arrête,
Aux appels trop pressants parfois tourne la tête,
Soupèse quelque fruit, marchande les primeurs
Ou s’éloigne au milieu d’insolentes clameurs.
L’enfant la suit, heureuse ; elle adore la foule,
Les cris, les grognements, le vent frais, l’eau qui coule,
L’auberge au seuil bruyant, les petits ânes gris,
Et le pavé jonché partout de verts débris.
Mylène a fait son choix de fruits et de légumes ;
Elle ajoute un canard vivant aux belles plumes !
Alidé bat des mains, quand, pour la contenter,
La mère donne enfin son panier à porter.
La charge fait plier son bras, mais déjà fière,
L’enfant part sans rien dire et se cambre en arrière,
Pendant que le canard, discordant prisonnier,
Crie et passe un bec jaune aux treilles du panier.

 

Le thé
de Théodore de BANVILLE


Miss Ellen, versez-moi le Thé
Dans la belle tasse chinoise,
Où des poissons d’or cherchent noise
Au monstre rose épouvanté.

J’aime la folle cruauté
Des chimères qu’on apprivoise :
Miss Ellen, versez-moi le Thé
Dans la belle tasse chinoise.

Là, sous un ciel rouge irrité,
Une dame fière et sournoise
Montre en ses longs yeux de turquoise
L’extase et la naïveté :
Miss Ellen, versez-moi le Thé.

 

Potager basque
de Sabine SICAUD


Le rouge du piment, celui de la tomate,
Luisent joyeusement contre le petit mur.
Le bel oignon de cuivre et le melon trop mûr
Joignent leur blondeur fauve à la gamme écarlate.

Des grains de malaga qui font songer aux dattes
Achèvent de confire au haut du petit mur.
Le cardonnette en fleurs mêle une ombre d’azur
Aux doigts fins de l’hysope offrant ses aromates,

Mais le crépi de cahxu qui par morceaux éclate
Semble jusqu’à la nuit, le long du petit mur,
Réfléchir un soleil si blanc, tapant si dur,
Que les lézards ont dû fermer leurs yeux d’agate.

 

Les effarés
de Arthur RIMBAUD


Noirs dans la neige et dans la brume,
Au grand soupirail qui s’allume,
Leurs culs en rond

A genoux, cinq petits, -misère!-
Regardent le boulanger faire
Le lourd pain blond…

Ils voient le fort bras blanc qui tourne
La pâte grise, et qui l’enfourne
Dans un trou clair.

Ils écoutent le bon pain cuire.
Le boulanger au gras sourire
Chante un vieil air.

Ils sont blottis, pas un ne bouge
Au souffle du soupirail rouge
Chaud comme un sein.

Et quand, pendant que minuit sonne,
Façonné, pétillant et jaune,
On sort le pain,

Quand, sous les poutres enfumées
Chantent les croûtes parfumées
Et les grillons,

Quand ce trou chaud souffle la vie;
Ils ont leur âme si ravie
Sous leurs haillons,

Ils se ressentent si bien vivre,
Les pauvres petits pleins de givre,
- Qu’ils sont là, tous,

Collant leurs petits museaux roses
Au grillage, chantant des choses,
Entre les trous,

Mais bien bas, - comme une prière…
Repliés vers cette lumière
Du ciel rouvert,

- Si fort, qu’ils crèvent leur culotte
- Et que leur lange blanc tremblotte
Au vent d’hiver…


 


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Citations autour de la nourriture

Dieu a dit : "Les riches auront de la nourriture, les pauvres de l'appétit."
Coluche



J'aime la nourriture : les hamburgers, les pizzas, les gnocci, la purée de pommes de terre et surtout le chocolat. J'aime manger pour manger. Parfois, je suis triste pour les mannequins qui ne mangent pas. Lorsque vous aimez la nourriture, vous aimez la vie. Lorsque vous aimez la vie, vous aimez aimer.
Laetitia Casta



Les joies du monde sont notre nourriture. La dernière petite goutte nous fait encore vivre.
Jean Giono



Il y a plus de philosophie dans un verre de vin que dans tous les livres.
Louis Pasteur



La patience, c'est comme le chocolat... On n'en a jamais assez !
Christelle Heurtault