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Le Monde de Poetika
Site & Revue de poésie en ligne
N° ISSN : 2802-1797


Posté le 24/04/2025 - Thème Humour

Opérations
Fabrice Dorey


On m’a parfois dit que j’étais cartésien,
Il me semble l’être de moins en moins…
J’accepte désormais bien volontiers
Que des choses puissent m’échapper…

Certes,
1 + 1 font toujours 2…
Mais est-ce heureux ?
2 + 2 font toujours 4
Mais si je veux me battre
Pour le cinquième… ?
5 + 4 font toujours 9
Mais alors quoi de neuf ?
Tout reste à faire
Et tout reste toujours tout !
(Et je ne vous parle pas de la moitié d’un tout qui fait 3 mètres
car « le tout c’est de s’y mettre »)

Et si je vole un oeuf,
Qu’un boeuf s’envole
Et que la poule roucoule...
Que puis-je en penser ?
Qui est le premier
Du boeuf ou de la poule ?

D’où vient la vie ?
Où va l’infini ?
Questions métaphysiques
Ou bien existentielles…
Qui élargissent le champ des possibles.
Si le champ est plus large,
c’est que c’est moins étroit.
Or, c’est étroit font dix
Et si c’est très étroit font 29…
À Sète et Troyes
C’est pareil… !

Et pourtant
Tout est différent.
« Les contraires s’attirent » mais
« Ce qui se ressemble s’assemble »…
Alors comment s’en sortir ?
Entrer sans sortir
Sortir par l’entrée ?
Entre nous c’est sans issue !

Trop d’opérations mènent à la division
La multiplication des pains n’y changera rien.
Je ne saurais m’y soustraire et c’est bien
Alors… « S’il vous plaît… l’addition ! »

 

© Fabrice DOREY


pFabrice Dorey
(1962-aujourd'hui) Originaire de la Manche, Fabrice Dorey vit aujourd'hui à Bayeux dans le Calvados. C'est un amoureux des mots et féru de jeux de mots. Son adolescence est bercée par la découverte d'un monde musical qu'il parcourt avec son frère et de nombreux amis. Caché derrière la batterie d'un petit groupe de musique local, il est plus à l'aise que devant les filles... Ses études l'amènent à avoir une profession paramédicale qui le passionne et le conduit à réfléchir sur la nature humaine et la complexité de la pensée. C'est ainsi qu'à trois ans de la retraite, il prend plaisir à poser sur papier les idées qui le tourmentent, l'encombrent ou l'amusent. Encouragé par sa famille et ses amis, il se lance dans l'écriture. Il a publié deux ouvrages
de pensées : Des pensées sans conter en 2021 aux Editions Sydney Laurent et Pensez donc ! en 2024 chez MVO Editions. Il aborde dans ces deux livres le monde de la philosophie, la politique, la poésie, l’humour, l’imaginaire, mais aussi celui des fables, du bisounours, des coups de gueule et parfois même de l’absurdité.


Poste le 23/04/2025 - Thème : Humour

J'aurais voulu
Jacky Couralet


J’aurais voulu être avocat ;
J’ai plaidé à raccourcis bras ;
La robe noire et la voix blanche,
Le verbe court comme les manches.

J’aurais voulu être écrivain ;
Bon signe j’écrivais en vain ;
J’ai reçu en ouvrant un meuble
Le prix Goncourt mais sur la gueule !

J’aurais voulu être pompier ;
Las ! Un jour, plein comme un panier,
Grolles à la main je me trompe,
Le feu j’attaque avec mes pompes !

J’aurais voulu être très beau ;
Oui mais je n’avais qu’un pied-bot ;
Un soir en boîte une gonzesse
A pris ma tronche pour mes fesses !

J’aurais voulu être très grand ;
Un jour au tir mon adjudant
Me crie : « Levez-vous, je l’exige ! »
« Je suis debout ! » lui répondis-je.

J’aurais voulu être ma sœur ;
Du mâle on me coupa la fleur ;
Il faudra que je m’en contente :
Mon frère m’a pris pour sa tante !

J’aurais voulu être chanteur ;
Bien que chantant comme un tracteur,
Je le fis dans un lieu illustre ;
Ils ont dû changer tous les lustres !

J’aurais voulu être soldat ;
En quarante avec mon barda,
Je crus avoir tué un boche,
Mais j’avais passé l’arme à gauche !

Je rêvais d’être rugbyman.
Un jour, jouant les supermans,
Je tente un drop, regard farouche ;
Merde ! J’ai trouvé une touche !

J’aurais voulu être Rimbaud ;
Confié à un poète homo,
J’appris le chiasme et l’hémistiche,
Mais surtout à serrer les miches !

J’aurais voulu être cocu ;
Lequel a dit : « N’en jetez plus ! » ?
J’aurais voulu : deuxième tome,
Lequel a dit : « Faut qu’on l’assomme ! »

 

© Jacky COURALET


pJacky Couralet
(1953-aujourd'hui)
Retraité de la Fonction Publique Territoriale, Jacky Couralet est un passionné de poésie. Eclectique, il écrit dans tous les registres : de la veine austère à la veine satirique, voire loufoque ! Il adore aussi le scrabble et a une approche ludique des activités cérébrales.


Reposté le 22/04/2025 - Thème : Religion

Habemus Papam
Michel Keukens


Trop d’actes sales et immondes
de peines lardées, d’âmes fragiles.
Trop de péchés dans ce monde
censé vécu sur fond d’Evangile.


Fi de mensonges lâches et enfouis,
De cicatrices brûlantes à jamais.
Place au motus, aux chagrins non dits,
Chez ces gens qui égrènent leur chapelet.


Mon vœu le plus cher, dès le début
Fut qu’on m’appelle simplement « François ».
J’avais des idées, des projets, des buts :
Je voulais retrouver les racines de la foi.


Celle qui donne et qui pardonne.
Celle qui aime l’autre comme lui-même.
Celle qui te fait humble aux pieds de la Madone.
Celle qui tend la main et pour le hère se démène.


Quand j’ose regarder en arrière
Me demandant ce que j’ai laissé,
Mon âme saigne au regard de ma mission
Mon cœur se brise aux cris de cette misère.


Et pourtant quand l’heure sera venue,
Celle du bilan, que l’on soit manant ou roi
Il faudra, quelle que soit ma déconvenue,
Passer à la caisse, j’y échapperai pas.


Je voudrais de tout ça n’avoir aucun remords
Oublier ce mal, nier, espérer me blanchir
De n’avoir pas su changer le décor
Et n’avoir finalement fait que bénir.


Ma conscience me harcèle chaque jour :
Imposture ! Apathie ! Refus de voir !
Lâcheté ! Peur d’oser dire qu’on n’est pas pour.
Je n’ai su que me cacher derrière l’ostensoir.


J’ai cru un moment pouvoir dépoussiérer
Malgré la noire Curie du fond de ses catacombes,
Bardée de passe-droits, qui a remis au fourreau l’épée
Pour se soucier de son bien et ignorer le fronde.


Je m’appelle François, Je m’étais donné une mission.
Mais mes ouailles ne veulent plus m’entendre
Elles récitent localement leurs oraisons
Et ont fait une croix sur un clergé exsangue.


La mutation tant attendue
Est restée lettre morte
L’espoir d’un mieux s’est perdu
Dans les méandres des cloportes.


L’ailleurs qu’on nous promet
Est-il là où les gens l’attendent ?
Que savons nous de ce qui est...
Nos « meilleurs vœux » en dépendent.


© Michel KEUKENS


Michel Keukens (1948-aujourd'hui)
Né en Belgique, Michel Keukens a 75 ans et travaille toujours à titre de traducteur de brevets européens depuis plus de 30 ans, après avoir effectué une carrière partielle d'enseignant en langues germaniques dans le secondaire.
Les mots croisés et l'écriture sont ses dérivatifs favoris qui le changent radicalement de son activité professionnelle éminemment technique !


Posté le 21/04/2025 - Thème : Vie

Dévisager sa vie
Stephen Blanchard


À Bernard DIMEY (centon*)

« J’ai vécu comme un fou, un bon quart de ma vie
La clef dans le pot de fleur et la porte tirée
Les gosses qui m’ont connu, bien sûr, ils ont grandi
Je tire mon chapeau à ceux qui sont passés ».


« Dans les soirs cloutés d’or de l’enfant que j’étais
Se rallument soudain le rire et les chansons
Des programmes comm’ ceux-là, vous n’en verrez jamais
Quoiqu’ayant du principe et de la religion ».


« On regrette toujours les vertus de l’enfance
Tous les grands chevaux blancs qui couraient dans les rues
Qu’il me semble parfois, aujourd’hui quand j’y pense
Je peux dire, et c’est vrai, j’ai fait ce que j’ai pu ».


« J’ai toujours adoré Paris quand la nuit tombe
Les femmes de hasard qui passaient dans mon lit
Le jour où je n’aurai plus rien à dire au monde
On peut aller tout seul dévisager sa vie ».


© Stephen BLANCHARD
* Centon : le centon est un texte constitué de vers ou de fragments à un ou plusieurs auteurs. Voici un centon que l'auteur a formé à partir de l’œuvre de Bernard Dimey. Le centon vient du mot latin Centro lui-même tiré du grec Kentrôn qui désigne un habit fait de divers morceaux ou de guenilles rapiécées. Dans le jeu du centon, la copie et le plagiat sont légalisés ! Il en est de même pour les montages artistiques de Braque ou Picasso. Le plus périlleux dans ce jeu, c’est de donner un sens à l’œuvre.
Bernard DIMEY (1931-1981) : poète, auteur de chansons et dialoguiste français, il s'installe à Paris à 25 ans sur la Butte Montmartre qu'il ne quittera plus. Cet amoureux de Montmartre où bien des endroits portent encore son nom était connu comme auteur de chansons à succès : « Syracuse », « Mémère », « Mon truc en plume », etc. qui ont été interprétées par des géants de la chanson française.


Stephen Blanchard (1952-aujourd'hui)
Créateur de l'Association "Les poètes de l'amitié - poètes sans frontières", Stephen Blanchard est aussi directeur de la revue internationale de poésie Florilège. Son association décerne chaque année trois prix d'édition à compte d'éditeur, dont le Prix d'Edition Poétique de la Ville de Dijon. Située en Côte d'Or, elle y organise depuis dix-neuf ans Les Rencontres Poétiques de Bourgogne. Il a publié près d'une trentaine recueils.
→ Voir tous ses textes sur le site
Le site de l'association :
→ http://poetesdelamitie.blog4ever.com/

Posté le 20/04/2025 - Thème : Saison / Automne

Au verger...
Raoul Bécousse


Au verger, les feuilles tombent.
Une troupe d'écoliers
Traverse la rue en trombe.
Octobre, dans les selliers,
Manipule ses barriques.
Novembre mélancolique
Effeuille les peupliers.
Notre destin nous est rivé


© Raoul BÉCOUSSE


Raoul Bécousse (1920-2000)
Bourguignon d'origine, Raoul Bécousse est un professeur de lettres et poète français. Poète reconnu et récompensé, il est présent dans de nombreuses anthologies, telle que celle de Robert Sabatier qui écrit "son œuvre offre toute la variété de ses registres, du plus grave au plus flûté. Chez lui l'économie des mots, le soin de l'écriture vont de pair avec la générosité de la pensée. L'aspiration à plus d'amour humain, à plus de foi, une inquiétude spirituelle, s'accompagne d'une bonne santé du poème, d'un goût terrien, d'un humour au quotidien".


Posté le 20/04/2025 - Thème Société / Enfance

Sans amour... sans détour
Bétharram
Claude Dussert


Il est des enfants nés au parfum d’abandon
Des internats feutrés d’oisives malveillances
Et des orphelinats à pleurer sa naissance.
Quand l’aube qui se lève a des senteurs amères
Et n’a plus de raison que dérisoires motifs
Que la cloche en appelle à faire mea culpa
La chapelle résonnant de prières de pardon
Le mal s’est ancré dans ces âmes jeunettes.
Otages d’un amour aux yeux crevés d’absence
Maudits de l’adoption ou jeunes néophytes
Ils ont déjà leur nom dans de sombres feuillets
Anonymes ou livrets aux écrits dérisoires.

16 avril 2025

 

© Claude DUSSERT
Lestelle-Bétharram : commune des Pyrénées-Atlantiques dont les collège et lycée sont actuellement au centre d'un des plus grands scandales de pédophilie de l’histoire de l’éducation française.


pClaude Dussert
(1947-aujourd'hui)
Poète, nouvelliste et pamphlétaire à ses heures, Claude Dussert est diplômé du Conservatoire d’Arts Dramatiques de Grenoble. Cadre commercial, il a créé sa société de communication « CBCD » en 1993 à Lyon. Il vit actuellement en Bourgogne, dans la région de Cluny. Éclectique dans ses lectures, sa passion pour la poésie l’a amené à être membre de nombreuses associations. Il participe activement à plusieurs anthologies de poésie et ouvrages collectifs ainsi qu’à des concours. Il a édité à compte d’auteur cinq recueils de poésie et un recueil de nouvelles. Il a également remporté de nombreux prix de poésie.


Posté le 20/04/2025 - Thème : Mythologie

Brigid, déesse de la lumière
Anne Casey


Quand tu vois comme notre monde est en feu, tu dois te demander
comment nous nous sommes égarés si loin de ton chemin.
Déesse née de la lumière, revêtue d’une robe de soleil
toi, dont les traces de pas ont fleuri pour semer sur notre sentier
le succulent chèvrefeuille, qui a couvert chaque colline de l’or du souple genêt,
érigé Duir le chêne puissant pour prospérer dans les bois frémissants,
l’animer du chant des grives, permis au saumon de sauter tel du vif-argent
au-dessus de ruisseaux tourbillonnants
– rappelle-nous à présent
pour boire à ta source précieuse, pour retrouver la santé
dans ton temple de lumière, pour vénérer à nouveau ta nature sauvage sacrée.

 

© Anne CASEY
Traduction de Germain Droogenbroodt 


pAnne Casey
Originaire de l'ouest du comté de Clare, en Irlande, et vivant à Sydney, en Australie, Anne Casey est une poétesse et écrivaine primée, auteure de deux recueils de poésie salués par la critique : « Where the lost things go » (Salmon Poetry, 2017) et « Out of emptied cups » (Salmon Poetry, 2019). Elle a travaillé pendant 30 ans comme journaliste, rédactrice en chef de magazine, directrice de la communication média et auteure juridique. Rédactrice en chef principale de la poésie des revues littéraires Other Terrain et Backstory (Université Swinburne, Melbourne) de 2017 à 2020, elle siège à de nombreux conseils consultatifs littéraires. Ses écrits et sa poésie sont largement publiés à l'international et figurent parmi les plus lus du journal The Irish Times.
Anne est convaincue que chaque poème, comme toute œuvre d'art, doit nous laisser un souvenir impérissable. Ses poèmes sont publiés dans le monde entier dans des journaux, magazines, revues, anthologies, émissions, podcasts, albums, spectacles et expositions d'art.


Posté le 20/04/2025 - Thème : Société

On veut nous faire peur
Michel Keukens


Si vous n’êtes pas climatosceptique,
C’est mathématique :
Selon ce qu’en disent les experts et les voisins
Qu’il soit midi, soir et matin,
A en croire les infos dès potron-minet
Les reportages de loin et de près,
Si tout ce qu’on entend, lit ou regarde
Nous incite à nous mettre sur nos gardes,
Alors, on a peur.


Rien n’y faisait les antibiotiques,
Ce fut automatique :
On n’avait pas le choix
De ne pas rester cloîtrer chez soi,
Il fallait se protéger, surtout des autres
Toujours se cacher le visage
Pour éviter du virus les ravages.
Et pour fêter cet anniversaire
De cette période où tout était par terre,
On en remet une couche
En balançant des chiffres à la louche.
Alors, on a peur.

Le bruit des armes automatiques
C’est pas bon pour notre fric.
On nous avait dit : « plus jamais ça ! »
Et maintenant c’est : « la guerre est là ! »
Ils disent que l’ennemi est à nos portes,
Que la menace est extra-forte.
Mais, déjà, on la devance, on nous réconforte
En nous assurant d’une mainforte.
A condition de préparer notre assurance-vie
de soixante-douze heures avec un kit de survie.
Alors, on a peur.


Quelle sera notre réplique ?
C’est simple : ne pas céder à la panique.
Vous avez dit « survie » ?
Dites m’en plus, je vous supplie.
Déjà plus d’un dans notre monde
Se trouve dans une situation immonde.
Et si la catastrophe, le deuxième big bang explose,
Nous ne serons quoi qu’il en soit plus grand-chose.
On aura l’air fin avec notre kit,
Car ce sera venu beaucoup trop vite.


Et si l’on refusait de croire à la Peur ?
Qui se chache derrière ces oiseaux de malheur ?
Tâchons de rester plus ou moins sages,
De ne pas frémir sous les mauvais présages.
Personnellement, je refuse et cette Peur, je la récuse.


© Michel KEUKENS


Michel Keukens (1948-aujourd'hui)
Né en Belgique, Michel Keukens a 75 ans et travaille toujours à titre de traducteur de brevets européens depuis plus de 30 ans, après avoir effectué une carrière partielle d'enseignant en langues germaniques dans le secondaire.
Les mots croisés et l'écriture sont ses dérivatifs favoris qui le changent radicalement de son activité professionnelle éminemment technique !


Posté le 20/04/2025 - Thème : Mythologie

Union
Forough Farrokhzad


Mes sombres pupilles, ah
Simples, étourdies, solitaires
Comme l’ivresse d’un derviche
Dans la danse de ses yeux


J’ai senti ce mouvement comme une vague
Comme la pyramide rouge d’un feu
Comme le reflet de l’eau
Comme un nuage tremblant sous la pluie
Comme le ciel dans le vent des saisons chaudes
Il s’est déployé
Sans fin
Au-delà de la vie


J’ai senti mon existence, mon corps
Se dissiper
Dans le souffle de ses mains
J’ai senti l’écho vagabond
De son cœur
Son cercle envoûtant dans le mien


L’heure s’est envolée
Le rideau happé par le vent
Je l’avais serré
Dans la lueur de l’incendie
Je voulais dire
Des merveilles


L’ombre de ses longs cils
– Un voile de soie effilé –
Remontait de l’obscurité
Sur la cuisse tendue par le désir
Et ce frisson, ce frisson proche de la mort
Se perdait en moi


Je me sentais libre
Je me sentais libre


Sous ma peau, l’amour s’étendait, mon corps se fêlait
J’ai senti toute mon ardeur
Fondre doucement
Et couler, couler, couler
Dans la lune, la lune assise sur un talus, la lune révoltée, opaque


Nous avons pleuré l’un et l’autre
Nous avons vécu follement l’un et l’autre
Une union éphémère, illusoire

© Forough FARROKHZAD
Extrait du recueil Une autre naissance, Editions Héros-Limite
Traduction du persan par Laura Tirandaz et Ardeschir Tirandaz


pForough Farrokhzad
(1935-1967)

Née à Téhéran, Forough Farrokhzad fut la première poétesse iranienne à promouvoir la culture féminine en poésie. Elle publie plusieurs recueils et poursuit des études cinématographiques en Grande-Bretagne. En 1962, elle réalise son film La maison est noire qui est un film sur la vie des lépreux. Le film remporte le grand prix du documentaire au festival d'Oberhausen en 1963. Exprimant ses réflexions sur la discrimination et les inégalités, elle décrit les souffrances indicibles des femmes de son pays.
Elle est décédée dans un accident de voiture
 le 14 février 1967, à l'âge de 32 ans. 


Posté le 02/04/2025 - Thème : Amour

Je t'aimerai sans toi...
Anne-Marie Kegels


Je t'aimerai sans toi. ne me fais jamais signe.
Un ajonc peut flamber sur la lande à midi,
solitaire en son mal et seulement nourri
d'argile avaricieuse au bout de sa racine.

 

Enterre au fond de toi mon nom ensommeillé.
Reste plus ténébreux qu'un buis de cimetière.
Je t'ai volé jadis les neiges de janvier
et j'ai coupé sur toi mes plus hautes javelles.

 

Va, ressemble à un mort. Debout dans mon désert
je sens bouger en moi des foisons de semences.
L'amour qui te cherchait dans sa famine immense
t'a dépassé enfin et brûle l'univers.

 

© Anne-Marie KEGELS


pAnne-Marie Kegels
(1912-1994)
Née près d'Agen, dans une famille de vignerons, Anne-Marie Kegels découvre la poésie grâce à sa grand-mère. A 19 ans, elle s'installe en Belgique après avoir épousé Joseph Kegels et publie ses premiers poèmes en 1945. Elle collabore à des hebdomadaires et à des activités littéraires. Elle enchaîne la publication de poèmes. Sous l'apparence -et la réalité- d'une vie plane et ordonnée, Anne-Marie Kegels brûle d'un feu inextinguible, qui s'exprime à travers d'ardentes métaphores, et les thèmes principaux de ses poèmes, solitude, évocation de la mort, confinent à une inquiétude métaphysique.
Autre texte :
La fenêtre


Posté le 20/04/2025 - Thème : Inclassables

Fragment d'une odyssée
Cédric Demangeot


L’enfance est dans le lait des limbes
et moi sur le sillon croisé
à lécher la sueur des murailles


vers l’être et l’éclos, la grâce
précaire : je suis
muselé mais grandissant


vers ma déroute
ô sirène, ô sillage
en robe vaine et cordes rouges


abîmé dans l’éveil
aimant la ronce d’espérance
et la fenêtre essoufflée.

 

© Cédric DEMANGEOT


pCédric Demangeot
(1974-2021)
Poète, traducteur et éditeur, Cédric Demangeot est considéré comme « l’une des voix poétiques les plus saisissantes de sa génération », il est l'auteur de nombreux recueils de poésie, mais aussi de deux pièces de théâtre. Son « œuvre [...] est le théâtre d’un affrontement très dur, très âpre avec le négatif », car pour lui, « la poésie devient protestation de la vie contre tout ce qui l’entrave, la défigure et la nie » : « la poésie doit saboter le réel et le rendre au vivant ». « Le poème est enfantin, politique est mortel », écrivait Demangeot, qui formulait ainsi le sens de son travail : « Comment écrire de la poésie à l'heure de la mondialisation du non-monde ? ».


Posté le 20/04/2025 - Thème : Temps / Animaux

Midi
Louis-Ferdinand Ramuz

Les lézards dorment en bougeant la queue dans les pierres ;
l’avant-toit ne fait plus par terre
la barre droite qu’il faisait ;
sur le talus, pour avoir frais,
les doigts cherchent une touffe d’herbe.


Tout est silence dans la maison, la cour est déserte ;
les canards bleus, les canards verts, les canards blancs
sont rangés, comme si on leur avait coupé la tête,
l’un à côté de l’autre au bord de l’étang.

Le chien, dans sa niche de paille et d’ombre,
le museau sur ses pattes, ronfle,
et seul le bout de son museau se montre.


De temps en temps seulement, on voit
un paquet de moineaux qui se laisse tomber du toit ;
ils font dans l’air une tache légère,
puis ils se roulent dans la poussière,


ils font alors une petite fumée, ? oh ! apportez-moi
une de ces pommes pas encore mûres, pleines d’acidité,
qu’on cueille aux arbres du verger,
avant le temps, avec la queue,

et dont le jus entre les dents
a une fraîcheur délicieuse.


© Charles-Ferdinand RAMUZ


pCharles-Ferdinand Ramuz (1878-1947)
Ecrivain suisse romand, Charles-Ferdinand Ramuz a utilisé le parler vaudois, ce qui donne à son oeuvre un style singulier. Il est auteur de romans, d'essais et de poèmes où figurent au premier plan les espoirs et les désirs de l'être humain. Ramuz puisa dans d'autres formes d'art (peinture, cinéma) pour contribuer à la redéfinition du roman.
Du même auteur :
Dimanche soir
Les maisons
→ Sa biographie sur Wikipédia

Posté le 20/04/2025 - Thème : Société

La maladie de soi
Michel Keukens


Les yeux dans le vide, elle tourne inlassablement
dans son café déjà refroidi depuis longtemps.
Son esprit s’évade, se fixe à d’autres moments.
Une larme tombe, témoin de son tourment.


Voilà déjà quatre mois qu’il est parti
qu’elle se retrouve seule le soir et à midi
car c’est au repas que le refus de l’oubli
se fait maître de tous ses autres soucis.


La vie à deux, et cela qu’on le veuille ou non,
fait qu’on passe beaucoup de temps au diapason.
Parfois un vain désaccord change le oui en non
mais l’ancrage des vœux refait la liaison.


Avec du recul, serait-elle responsable ?
Peut-être eut-elle dû se montrer plus aimable ?
Éviter ces amères remarques qui accablent ?
Comment dans cette situation ne pas se sentir coupable ?


Le poste de télévision débite ses sornettes.
C’est un peu une présence qui lui remplit la tête.
Va falloir se bouger, aller faire ses emplettes.
Ça change les idées, et pour ça elle doit être nette.


Au verso d’une feuille d’un vieux calendrier,
au crayon, ligne par ligne, dans des colonnes bien tracées,
elle note scrupuleusement ce qu’elle ne doit pas oublier.
À sa mémoire défaillante, elle ne peut plus se fier.


C’est une amie qui lui avait parlé de cette maison
où l’on accueille ceux qui ont mal à leur raison
et qui ont été frappés par une lente érosion,
dont personne aujourd’hui ne connaît la raison.


Il ne sait plus qui il est, enfermé dans son monde.
Il est là sans y être, infernale est sa ronde.
Aujourd’hui encore elle ira fleurir cette tombe,
encore lui parlera, en espérant qu’il réponde.


© Michel KEUKENS


Michel Keukens (1948-aujourd'hui)
Né en Belgique, Michel Keukens a 75 ans et travaille toujours à titre de traducteur de brevets européens depuis plus de 30 ans, après avoir effectué une carrière partielle d'enseignant en langues germaniques dans le secondaire.
Les mots croisés et l'écriture sont ses dérivatifs favoris qui le changent radicalement de son activité professionnelle éminemment technique !


Posté le 20/04/2025 - Thème : Temps

Alyscamps
André Pieyre de Mandiargues


Il y eut des pas sur le sable
Qui conduisaient à des pieds nus,


Ses yeux et l’eau étaient si clairs
Que le fond de tout paraissait,


Les vêtements et les mensonges
Avaient été démis du songe,


N’eût-elle relâché les doigts
Lui eût-il mieux tenu la main,


Tous deux auraient dormi mille ans
Dans un tombeau des Alyscamps.


© André PIEYRE DE MANDIARGUES
Alyscamps : Les Alyscamps sont une nécropole remontant à l'époque romaine située à Arles, dans le département des Bouches-du-Rhône en France.


pAndré
Pieyre de Mandiargues
(1909-1991)
Ecrivain français, Pieyre de Mandiargues est souvent considéré comme surréaliste, et, même s'il le rejoint sur certains aspects, il ne pourrait y être totalement rattaché. De fait, il est aussi membre inavoué du romantisme noir et constitue l'un des derniers représentants du symbolisme. Son œuvre comprend des poèmes, des contes et des romans (notamment Le Musée noir, en 1946, Soleil des loups, en 1951 et Feu de braise, en 1959), des essais sur l'art et la littérature, des pièces de théâtre (Isabella Morra, 1973), des recueils de poèmes (L'Âge de craie, 1961) ainsi que des traductions. Il a également reçu le Prix Goncourt en 1967 pour son roman La Marge, et le Grand prix de poésie de l'Académie française en 1979.


Posté le 20/04/2025 - Thème : Beauté

Ce que je cherche
Eugène Guillevic


Ce que je cherche, c’est
Le secret qu’on appelle beauté,
Qui existe, qui se garde,
Qu’on peut définir.


Cette chose qui exalte
Quand on contemple


Ce courant qui réveille
Ce que chacun voudrait être,


Ce qui en lui
Grouille et cogne,


Aspire à la hauteur
Où s’accomplir.


Mais la beauté n’est pas
Un lieu où l’on arrive.


La beauté
Est un point de départ.


Mes sculptures
Sont des tremplins.

 

© Eugène GUILLEVIC


pEugène Guillevic
(1907-1997)
Eugène Guillevic est l'un des plus importants poètes français de la seconde moitié du XXe siècle. Il ne signa jamais ses nombreux recueils que de son seul nom, Guillevic. Catholique pratiquant jusque vers trente ans, il devient sympathisant communiste au moment de la Guerre d'Espagne, adhère en 1942 au Parti communiste alors qu'il se lie à Paul Éluard et participe aux publications de la presse clandestine. Sa poésie est concise, franche comme le roc, rugueuse et généreuse, tout en demeurant suggestive. Sa poétique se caractérise aussi par son refus des métaphores, auxquelles il préfère les comparaisons, jugées moins mensongères.
Autres textes :
Ça frappe
Berceuse pour adultes