y
Création de la page le 25/04/2023

Votre poème ici

Envie de rejoindre l'anthologie virtuelle permanente ? N'hésitez pas à m'envoyer vos textes avec une mini biographie (facultatif mais conseillé !).
Voir les détails ici.
Courriel : poetika17(arobase)gmail.com
-------------
Nota : les textes publiés sur cette page ont fait l'objet d'une demande par courriel à leurs auteurs respectifs (sauf aux poètes disparus et certains auteurs-compositeurs-interprètes), ou bien ils sont envoyés spontanément par les auteurs publiés.
Et sauf mention spéciale, toutes les images proviennent de pixabay.com.

------------
Le Monde de Poetika
Site & Revue de poésie en ligne
N° ISSN : 2802-1797


y
Posté le 13/08/2023 | Thème : Nature

Montagne

À travers les grandes prairies,
Le vent caché dans le brouillard
Pourchasse les feuilles flétries
Du sycomore et du fayard.

Toutes les cimes familières
Ont disparu du ciel trop bas,
Et, pour éclairer les bruyères,
Le soleil ne se lève pas.

Seuls habitants du plateau morne,
Un pauvre chien, quelques brebis …
Le pâtre, assis sur une borne,
Souffle dans ses doigts engourdis.

© Louis PIZE


pLouis Pize
(1892-1976)
Poète français natif de Bourg-Saint-Andéol en Ardèche, Louis Pize est élevé par sa mère qui lui donne le goût de la musique et de la poésie. Après l'obtention d'une licence en droit, il se tourne vers la littérature et publie son premier recueil pour lequel il reçoit les félicitations de Francis Jammes. Abandonnant le droit, il devient professeur de Lettres classiques à Lyon. Il est élu président de l'Académie des sciences, belles-lettres et arts de Lyon en 1964. Il participe à la création et aux activités des Editions du Pigeonnier de Charles Forot. Pendant les vacances d'été, il parcourt l'Ardèche à vélo en compagnie de sa femme. À sa retraite, il s'installe dans sa maison de Saint-André-en-Vivarais.



y
Posté le 09/08/2023 | Thème : Nuit / Ecrire

Il est des visages...

Il est des visages
impénétrables
que l'on n'oublie pas.
Il est des voix
silencieuses
que l'on ressasse.
Il est des écrits
douleurs invisibles
que l'on lit et relit.
Il est des jours
vagabonds.
Il est des nuits
chancelantes.
Voici un visage
puis une voix
et un écrit
que l'on revit
à l'infini
des jours
et des nuits.

 

© Renée VIRLOGEUX BORON


Renée Virlogeux Boron
(1939-aujourd'hui)
Renée Virlogeux Boron s'adonne à la poésie pour son plaisir et écrit aussi des nouvelles. Elle travaille la terre aux Ateliers d'Art de Château-Thierry. Elle aime également peindre et a pris quelques cours de calligraphie. Elle a ouvert une petite bibliothèque dans sa commune qui compte 83 habitants. C'est avant tout le plaisir de se rencontrer, d'échanger et... de jouer aux cartes.



y
Posté le 08/08/2023 | Thème : Nature

J'aime les pierres

J’aime les pierres
Les lisses comme des cheveux
Les bleues comme des yeux
Et les rondes qui font penser
Aux joues des oiseaux.
C’est peut être un morceau d’étoile,
Une pierre,
Un morceau de cœur, peut être…
J’admire et j’écoute.

© Jules MOUGIN


pJules Mougin
(1912-2010)
Surnommé le « facteur poète » en raison de sa profession de facteur aux PTT, Jules Mougin est un poète français qui parlait aux oiseaux, aux hommes, à l'univers. Adepte de l'art brut, tenant d'une écriture haletante et directe, anti-militariste, obsédé par la guerre et la mort, facteur de profession, il n'a jamais voulu embrasser la carrière littéraire. Il a entretenu une riche correspondance avec Jean Dubuffet et fut l'ami de Giono et de Louis Calaferte. Sa particularité est d'écrire sur n'importe quel support : lettres, dessins, enveloppes, cahiers d'écolier, buvards, mais aussi de graver sur la roche de sa cave troglodyte  de Chemellier (Maine et Loire) proche de la maison où il vivait avec Jeanne, sa femme.  



y
Posté le 07/08/2023 - Thème : Temps / Mort

Temps mort

Je n'ai pas vu passer le temps,
Car courir à droite et à gauche,
Là où le vent va, s'effiloche,
Me semblait lors plus important.


Je n'ai pas vu passer le temps.
Je n'avais pas une seconde
A perdre, et même mes enfants
Qui à l'instant faisaient la ronde,


Aujourd'hui veulent instamment,
A leur tour, aller voir le monde.
Je n'ai pas vu passer le temps ;
Les heures et les minutes fondent,


Et bien que fils d'un horloger,
Jamais je n'ai su les compter.
En deux temps et trois mouvements,
La roue vient de tourner. Bon sang,


J'aurais dû y penser avant !
Il est trop tard pour les remords,
Mais faire le point, rien qu'un moment,
De temps en temps, faire temps mort,


M'aurait évité ces tourments.
Retenir l'aiguille au cadran
Et voir la vie à son insu,
Voilà ce qu'il aurait fallu !


Passer le temps, je n'ai pas su.
Et maintenant que l'heure arrive
Où je dois partir au-dessus
Ou au-dessous, vers d'autres rives,


Je vous le dis, mes chers enfants,
Sachez donc voir passer le temps !
La minute où je m'en irai,
L'horloge vous arrêterez !

© Etienne BUSQUETS


pEtienne Busquets
Poète fénassol d'origine catalane (village de Lafenasse dans le Tarn), Etienne Busquets est sociétaire des Amis de Jean Cocteau et membre des Poètes sans Frontières de Vital Heurtebize à Orange. Il a remporté plusieurs prix de poésie et collabore dans plusieurs revues et anthologies.



y
Posté le 05/08/2023 | Thème : Poésie

La plume d'Elsa

Quand de la fontaine, jaillissent en bouquets
Les mots bleus, les mots blancs, tes yeux iris voyagent
Sur le vent, ils t’emportent dans la steppe sauvage
De ta patrie chérie, embaumée de muguet.

 

Sous ta douce plume, l’arc-en-ciel en secret
Entoure d’un halo, les plus beaux paysages
De Moscou à Paris, tout au long de tes pages
Puis s’enfuit dans la nuit et quitte tes feuillets.

 

Toi la déracinée, victime des insomnies
Tu mettais au placard, les romans noirs honnis
Pour mieux les dévorer au lever de la lune.
 

De ton coin de France, de ton coin de ciel bleu
Où chante le moulin quand s’invite la brune
Fleurissent par milliers, les iris dans tes yeux.

© Mireille HÉROS


Mireille Héros
Journaliste de formation, Mireille Héros, est l’auteure de recueils de poésies, haïkus, contes, nouvelles et chroniques. Elle anime des ateliers d’écriture et de poésie pour enfants et adultes.
Très impliquée dans le milieu associatif, elle co-anime le Club des Poètes de Marne-la-Vallée et un réseau d’échanges de savoirs réciproques à Chelles pour le compte duquel, elle a rédigé et édité un recueil sur les savoirs d’hier, d’aujourd’hui et de demain.



y
Posté le 27/07/2023 | Thème : Nuit

Lune

A pas de nuit
Du creux des rêves
Lune se lève
Doucement luit


Comme un doux fruit
Rond sur la grève
Plane et s'élève
Et puis sans bruit


Nimbée de brume
Voile d'écume
Au blanc perlé


Glisse sur l'onde
D'un ciel qu'inonde
Sa majesté

© Arnaud VINCENZ


pArnaud Vincenz
(1966-aujourd'hui)
[Nom de naissance : Christophe OZANNE-KAUFFMANN]
Comédien de théâtre, Arnaud Vincenz réside en Charente-Maritime. Il a remporté le Deuxième Prix de Poésie au concours Poetika 2023.



y
Posté le 23/07/2023 | Thème : Mère

A ma mère

Lorsque ma sœur et moi, dans les forêts profondes,
Nous avions déchiré nos pieds sur les cailloux,
En nous baisant au front, tu nous appelais fous,
Après avoir maudit nos courses vagabondes.

Puis, comme un vent d’été confond les fraîches ondes
De deux petits ruisseaux sur un lit calme et doux,
Lorsque tu nous tenais tous deux sur tes genoux,
Tu mêlais en riant nos chevelures blondes.

Et pendant bien longtemps, nous restions là blottis,
Heureux, et tu disais parfois : ô chers petits !
Un jour vous serez grands, et moi je serai vieille !

Les jours se sont enfuis, d’un vol mystérieux,
Mais toujours la jeunesse éclatante et vermeille
Fleurit dans ton sourire et brille dans tes yeux.

© Théodore de BANVILLE
Extrait du recueil Les Cariatides
Illustration : Jessie WILLCOX-SMITH (1863-1935), Etats-Unis


pThéodore de Banville
(1823-1891)
Surnommé "le poète du bonheur", Théodore de Banville fut l'un des précurseurs du parnasse. Il professait un amour exclusif de la beauté et la limpidité universelle de l’acte poétique, s'opposant à la fois à la poésie réaliste et à la dégénérescence du romantisme, contre lesquels il affirmait sa foi en la pureté de la création artistique.




y
Posté le 11/07/2023 | Thème : Société

Au bout du tunnel

Une soirée trop arrosée
Un soir de pluie.
Le premier verre de l’amitié.
Un dernier pour la route.


Les vitesses passées,
Les limites dépassées.
Puis la roue tourne
En dépit du bon sens.


Cœurs et larmes se brisent,
Corps et âmes se déchirent
Quand les maux dérapent
Sur un terrain glissant.


Plus de souvenirs dans les rétros.
Plus d’avenir devant soi.
Le présent au point mort
Perd contact avec la réalité.


Carcasses éparses,
Épaves fracassées.
L’acier trempé
D’eau et de sang.


À bout de force
Au bout du tunnel.
Les premiers secours.
Un dernier geste.

© Alexandre KOSTOVSKI


pAlexandre Kostovski
(1976-aujourd'hui)
Auteur à la vocation tardive qui vit à Nancy, Alexandre Kostovski a été primé lors de concours poétiques, notamment ceux de la Société des Poètes et Artistes de France (SPAF - Lorraine) et des Amis de Thalie. Tout récemment, son texte Le grand méchant glou a été remarqué par le jury du concours Poetika 2023. Il a publié des recueils en autoédition et à compte d'auteur. Ses auteurs préférés sont Prévert, K. Dick, Gainsbourg, Kubrick et bien d'autres... Il s'en inspire tout en cherchant son propre style, sa propre voie…


Autre texte :
Le grand méchant glou


y
Posté le 20/06/2023 | Thème : Amour

Quand je te vois parmi les fleurs, amour

Quand je te vois parmi les fleurs, amour,
près de la rivière, en mars au verger,
j’ai envie de me mettre à gazouiller
comme les rossignols le font toujours.


Comme les rossignols le font toujours,
j’aimerais en chantant jusqu’à l’été
te consacrer mon amour, t’implorer,
là où m’ont violenté tes amours.


Infiniment plus grand que ta stature,
en prenant dans les vergers une pomme
beaucoup plus grosse que ton appétit :


beaucoup plus insoumis à la capture,
vers toi je me rends, grâce à ton arôme,
infiniment plus petit que petit.

© Miguel HERNÃNDEZ


pMiguel Hernãndez
(1910-1942)
Poète  dramaturge espagnol engagé dans la guerre d'Espagne, Miguel Hernãndez est issu d'une famille nombreuse et passe son enfance entre l'école et le troupeau de chèvres de son père. Il lit beaucoup malgré les persécutions d'un père despotique. Lorsque la guerre d'Espagne éclate en 1936, il s'engage avec l'armée aux côtés des Républicains pour combattre le général Franco et ses partisans. En 1937, il épouse une femme de son village natal, dont il a un fils qui meurt prématurément. Le poète est marqué par les conditions de vie des défavorisés et commence à écrire des oeuvres très engagées qui défendent la liberté. En 1939, à la fin de la guerre, il tente de fuir l'Espagne pour se rendre au Portugal mais il est arrêté à la frontière. Condamné à mort en 1940, sa peine est commuée en trente ans de prison mais atteint de tuberculose, il meurt en 1942 dans la prison d'Alicante. Considéré comme l'un des plus grands poètes et dramaturges espagnols du XXe siècle. Plusieurs de ses poèmes ont été chantés par Paco Ibáñez et Joan Manuel Serrat.



y
Posté le 19/06/2023 - Thème : Vie

Reine de nuit

Elle s'ouvre dans l'ombre,
s'offre à la lumière,
elle défie la mort,
elle est la vie-même,
Elle a l'incandescence
de la femme éternelle
qui danse follement
dans les bras du soleil
en robe galactique
et s'écoule en cascade
le sang bleu bouillonnant
de sa passion d'étoile.

 

© Parme CERISET
Illustration de Parme CERISET, à partir d'une photographie personnelle


pParme Ceriset
Passionnée de poésie et membre de la Société des Poètes Français, rédactrice à La Cause littéraire, surnommée « la plume Amazone » pour son tempérament très indépendant et son attachement suprême à la liberté. Parme Ceriset navigue entre Lyon et le Vercors où elle puise son inspiration. Son roman autobiographique Le serment de l'espoir - Que la vie souffle encore demain paru chez L'Harmattan, fait écho à son parcours totalement atypique. Elle a grandi avec une maladie rare, a exercé en tant que médecin puis a été sauvée par une greffe des poumons après avoir passé quatre ans sous oxygène. Dans ce roman qui est une ode à la Vie, à l'Espoir, à la Nature, à la Passion, à l'Amour et à la Liberté, elle défend une conception artistique de l'existence en déroulant le récit par petites touches, comme une fresque impressionniste. Parme Ceriset est également dessinatrice. Elle est fascinée par la vie sauvage et le monde animal, par la spiritualité et son expression artistique depuis l'aube immémoriale du monde et de l'humanité. Sur le plan philosophique, elle considère la poésie, selon ses propres mots, comme "un acte de résistance contre le non-sens et la mort". Son Graal absolu est la "liberté libre" de Rimbaud, qu'elle poursuit elle aussi, parfois jusque dans les ténèbres, éclairée par le flambeau inextinguible de sa foi en la vie et en l'Amour universel. Elle se définit comme humaniste, écologiste, féministe et pacifiste. Sa devise : "N'appartiens qu'à toi-même et au souffle du vent." (Extrait de son recueil "N'oublie jamais la saveur de l'aube", 2019). Son dernier recueil Femme d'eau et d'étoiles a été publié en 2021 et vient d'être couronné du Prix Marceline Desbordes-Valmore 2021 par la Société des Poètes Français.



y
Posté le 17/06/2023 | Thème : Mort

Le cimetière juif

Le cimetière juif près de Leningrad.
Une clôture boiteuse de planches pourries.
Et derrière la clôture gisent côte à côte
Juristes, commerçants, musiciens, révolutionnaires
.Ils ont chanté pour eux-mêmes.
Ils se sont enrichis pour eux-mêmes.
Ils sont morts pour les autres.
Ils ont toujours payé leurs impôts,
respecté le règlement,
Et dans ce monde matériel comme une impasse
Ils commentèrent le Talmud
et restèrent des idéalistes.
Peut-être ont-ils vu au-delà du réel.
Peut-être ont-ils cru aveuglément.
Mais ils ont appris aux enfants
à être patients
à devenir têtus.
Ils n’ont pas semé de blé,
ils n’ont jamais semé de blé.
Ils se sont tout simplement allongés dans la terre
comme du grain,
Ils se sont assoupis pour des siècles,
ensevelis dans la poussière,
on a pour eux allumé les cierges,
au jour du grand pardon
des vieillards affamés à la voix aiguë
suffoquant de froid hurlaient à leur paix éternelle.
Ils l’ont trouvée,
dans la désintégration de la matière.
Sans rien se rappeler.
Sans rien oublier.
Derrière la clôture de planches humides.
Quatre kilomètres après le terminus de tramway.

© Joseph BRODSKY
Traduit par Jean-Jacques MARIE, Editions du Seuil


pJoseph Brodsky
(1940-1996)
Poète russe et citoyen américain, Joseph Brodsky, Prix Nobel à quarante-sept ans, est entré dans l'histoire littéraire, par un procès qui était celui du non-conformisme dans une société close aux normes esthétiques rigides. Condamné en mars 1964 par un tribunal de Leningrad à cinq ans de déportation pour « parasitisme social ». Constamment surveillé, il est expulsé d'URSS en 1972 et émigre aux États-Unis où il enseigne dans différentes universités, et adopte parfois l'anglais dans ses essais critiques et autobiographiques en prose. L'essentiel de son œuvre reste profondément enraciné, malgré son caractère novateur, dans la langue et la tradition poétique russes. Son lyrisme, nourri par une vaste culture classique et de plus en plus ouvert sur l'horizon planétaire de l'homme d'aujourd'hui, reste dominé par les thèmes de l'exil, de la séparation, de la solitude.



y
Posté le 17/06/2023 - Thème : Poésie

Un poème

C'est un mot posé
En silence
Dans un grand livre blanc
Un poème
C'est souvent un prénom de femme
Gravé dans le cœur
Pour l'éternité
Des poussières
Qui se lèvent
Et se posent
Dans le bruissement
D'un bouquet de roses
Un poème
C'est une pierre muette
Refermée sur la peur
Si la main curieuse
Ne vient pas fouiller
Le sol fertile du poète
Si une voix douce
Ne déclame pas
Les mots éteints
Un poème
C'est une rivière
Lorsque l'émotion
Fait naître le torrent
Un poème
C'est l'éloge
Que mes yeux te donnaient
Alors que j'allais
Sur la terre
Au soleil
Au chemin de la mer
Ta main
Dans la mienne
Me soufflait des mots
Un poème
C'est l'amour éternel offert
Au papier qui jauni
Un poème
C'est l'incroyable hommage
Des beaux jours allés
Posés dans
Le ciel gris
D'aujourd'hui
Un poème
C'est une éternité
Sur la gréve écrite
Que la mer
Use et égalise
À chaque fois
À chaque pas
À chaque vie
Déclinant
Le mot aime

 

© Yann Erwan PAVEG


pYann Erwan Paveg
(1959-aujourd'hui)
Editeur, poète et formateur en langue bretonne, Yann Erwan Paveg écrit aussi bien en français qu'en breton, inspiré de son héritage, de sa Bretagne dont il est un ardent défenseur. Avec plus de 500 abonnés sur Twitter, il a posté plus de 700 tweets qu'il a mis bout à bout dans un recueil intitulé Caractères. Il a publié plusieurs ouvrages dont : Les ultimes rosées et le dernier : Empreintes.



y
Posté le 17/06/2023 | Thème : Alcool

Un jour de nuit tordue

Je veux du vin
les cailloux dans ma tête ne se transformeront pas en pain.
Aujourd’hui c’est mon anniversaire cinquante-six ans et tout ce que je possède c’est une poche vide.
Ma vieille figure de poivrot est toute vérolée et balafrée.
Je tremble méchamment de tous mes membres dans cette foutue brise glaciale.
Ai voyagé loin avec une centaine de guitares
la petite musique dans mon crâne vacille et s’éteint.
Me suis traîné sur une béquille sur plus de dix mille kilomètres
à chercher des sourires
à fredonner des mélodies
pâtée pour chien couteaux de cuisine néon éblouissant dans le fauteuil d’un coiffeur.
Mes gosses sur la route depuis très longtemps et ma femme complètement dérangée depuis tant d’années.
Le bleu du ciel c’est à travers des picrates rouge sang que je l’ai regardé
désir vampire vivant ma vie
avec le Christ.
La mort m’a pourchassé ici et là.
La vie en moi s’éteint vite.
Faut que je me colle à la route la route la route
tirer sur mon mégot
c’est toujours trop long quand je suis parti parti parti
Aujourd’hui c’est mon anniversaire et le blé ne va pas pousser dans ma tête
je veux du vin
du vin
du vin

© Jack MICHELINE


pJack Micheline
(1929-1998)
[Vrai nom : Harold Martin Silver]
Peintre et poète américain, Jack Micheline s'apparente aux artistes de rue, écrivains underground et poètes « hors la loi ». Classé comme un des poètes les plus originaux de la Beat Generation, c'est un artiste novateur qui prit part au mouvement connu sous le nom de Renaissance de San Francisco dans les années 1950 et 1960.



y
Posté le 16/06/2023 | Thème : Révolution

Constellation des frères morts

André qui fut tué à Riga,
Dario qui fut tué en Espagne,
Boris dont j’ai pansé les plaies,
Boris dont j’ai fermé les yeux.


Cher compagnon de chambrée,
David, mort sans savoir pourquoi
dans un doux verger de France –
David, ta souffrance étonnée,
– six balles pour un coeur de vingt ans…


Karl dont j’ai reconnu les ongles
quand vous étiez déjà de terre,
Vous, front d’une si haute pensée,
ah ! que faisait de vous la mort !
Ce noir et dur sarment humain.


Le nord, la lame, l’océan
chavirent la barque, les Quatre, blêmes,
boivent l’angoisse à long traits,
adieu Paris, adieu, vous autres,
adieu la vie, ah, nom de Dieu !


Vassili, par nos minuits blancs,
vous aviez l’âme d’un combattant
de Shang-Haï,
et votre tombe, le vent l’efface
et Armavir, dans le maïs.


Honk-Kong s’allume, heure des buildings,
la palme ressemble au cimetière,
le square ressemble au cimetière,
le soir est torride et tu meurs,
Nguyen, sur ton lit de prison.
Et vous, mes frères décapités,
les égarés, les sans-pardon,
les massacrés, René, Raymond,
coupables, mais non point reniés.


O pluie d’étoiles dans les ténèbres,
constellation des frères morts !

Je vous dois mon plus noir silence,
ma fermeté, mon indulgence
pour tous ces jours qui semblent vides,
ce qui me reste de fierté
pour un brasier dans le désert.

Mais que se fasse le silence
sur les hautes figures de proue !
l’ardent périple continue,
le cap est de bonne espérance…

A quand ton tour, à quand le mien ?
Le cap est de bonne espérance.

© Victor SERGE
Extrait de Pour un brasier dans un désert, Editions Plein Chant, 1998


pVictor Serge
(1890-1947)
[Vrai nom : Viktor Lvovitch Kibaltchitch]
Révolutionnaire libertaire puis marxiste et écrivain francophone, Victor Serge est né en Belgique de parents russes émigrés politiques. Dès ses 15 ans, il fréquente les milieux libertaires et écrit dans différentes revues. Membre actif du Parti Communiste Russe, il se rapproche de Léon Trotski dans l'opposition à la politique de Staline. Radié du parti, il est arrêté par le Guépéou en 1933 et déporté en Sibérie. Banni de l'URSS et persécuté jusqu'à sa mort par la police politique soviétique pour ses idées libertaires, Victor Serge se réfugie en Belgique puis à Marseille, avant de rejoindre le Mexique où il meurt dans le dénuement. Il fut l'un des premiers à dénoncer les abus du stalinisme. Son oeuvre littéraire lui permet de défendre la liberté, la justice et l'égalité, ainsi que de critiquer l'inhumanité des démocraties ou le totalitarisme soviétique. Bien que son talent d'écrivain et de romancier soit reconnu internationalement, Victor Serge, auteur calomnié et controversé, reste relativement peu connu.



y
Posté le 15/06/2023 | Thème : Mort

Testament

Autrefois j'aurais voulu être le dernier oiseau du dernier platane
La première lueur du matin sur l'aile d'un olivier
L'orange de midi, bien pendue sur ses feuillages de parfum
Et ce nuage qui joue autour du phare
J'aurais voulu être une phrase coupée au raz d'un poème
Découvert par une jeune fille aux cils de pavot
Au bord d'un grenier de Provence
Mais maintenant
Mon dernier désir est que mon souvenir brûle
Les pierres où il est gravé
Ici et là au petit vol de mes voyages
Les sables de la mer n'ont pas besoin de dictionnaire
Toutes les feuilles meurent en automne
Rien n'est qu'un feu mort au fond d'un ruisseau sec

 

Que mon visage s'écrase en vous
Ombre de ma jeunesse
Et qu'il ne reste rien de ce fer rouge


© André de RICHAUD


pAndré de Richaud
(1907-1968)
Ecrivain et poète français, André de Richaud se lie d'amitié avec Pierre Seghers qui sera son éditeur. Etudiant en droit et en philosophie à Aix-en-Provence, il est maître d'internat au lycée Mignet en même temps que Marcel Pagnol. Il reçoit le prix Guillaume-Apollinaire en 1954 pour Le droit d'asile.



Posté le 07/06/2023 | Thème : Amour

Sentiment nouveau

J'avais perdu le goût des choses Sans avoir idée de la cause La naissance des temps nouveaux Me surprit bientôt La poussière au bleu du chagrin S'élevait sur tous les chemins Vous courez comme feu follet Mon âme égarée

Puis il y eut ce sentiment nouveau Ce souffle sur ma peau Le plaisir avec toi Puis il y eut la joie d'être éveillé Par le premier baiser D'une bouche adorée

Nous étions du dernier regain Condamnés à mourir demain Issus du troupeau décimé Promis au boucher Depuis ma tristesse est un monde ancien Un monastère tibétain Une jonque pleine d'œillets Prête à chavirer

Puis il y eut ce sentiment nouveau Ce souffle sur ma peau Le plaisir avec toi Puis il y eut la joie d'être éveillé Par le premier baiser D'une bouche adorée

Puis il y eu ce sentiment nouveau Ce souffle sur ma peau Le plaisir avec toi Puis il y eut la joie d'être éveillé Par le premier baiser D'une bouche adorée


© Jean-Louis MURAT


pJean-Louis Murat
(1952-2023)
Auteur-compositeur-interprète, Jean-Louis Murat (de son vrai nom Jean-Louis Bergheaud) a débuté sa carrière comme musicien puis chanteur dans le groupe clermontois Clara. Remarqué par William Sheller, il signe un contrat chez Pathé-Marconi en 1981 et produit un premier 45 tours Suicidez-vous le peuple est mort qui révèle son caractère provocateur. Mais c'est le single Regrets (un duo avec Mylène Farmer) qui le fait réellement et définitivement connaître auprès d'un plus large public fin 1991 alors qu'il est à l'aube de la quarantaine. Viscéralement attaché à l'Auvergne où il réside, il puise dans la nature et la campagne son inspiration poétique. Auteur prolifique et impénitent, il produira plus d'une vingtaine d'albums.



y
Posté le 06/06/2023 | Thème : Sensualité

Le lac

Je te respire près du lac rose
Où se mirent les nuages bleus.
Ton corps, apprivoisé
S'étire langoureusement
Tes seins, odeur de mimosa,
S'offrent aux caresses du vent.


Ta chevelure coule sur ton visage
Encore endormi et rêveur.
Tu restes ainsi, accrochée aux songes
Dissolus de la nuit, satisfaite.
Complaisants, mes doigts
Suivent tes vivantes courbes.


Le poète t'aimerait, ange ou démon,
Rose piquante et odorante.
Nos désirs s'adoucissent
Dans l'enchevêtrement du nous.
Tu es vivante et moi aussi par toi
Aujourd'hui donne goût à la vie.


Le lac reprend ses couleurs
Le vert lui convient mieux
Et les nuages, vagabonds,
Se jouent des vents coquins
et sèment dans tes cheveux roux
Une myriade d'étoiles en folie.

 

© Renée VIRLOGEUX BORON
Crédit photo : Matthieu Soudet


Renée Virlogeux Boron
(1939-aujourd'hui)
Renée Virlogeux Boron s'adonne à la poésie pour son plaisir et écrit aussi des nouvelles. Elle travaille la terre aux Ateliers d'Art de Château-Thierry. Elle aime également peindre et a pris quelques cours de calligraphie. Elle a ouvert une petite bibliothèque dans sa commune qui compte 83 habitants. C'est avant tout le plaisir de se rencontrer, d'échanger et... de jouer aux cartes.



y
Posté le 31/05/2023 | Thème : Société

Home

Personne ne quitte sa maison à moins
Que sa maison ne soit devenue la gueule d’un requin
Tu ne cours vers la frontière
Que lorsque toute la ville court également
Avec tes voisins qui courent plus vite que toi
Le garçon avec qui tu es allée à l’école
Qui t’a embrassée, éblouie, une fois derrière la vieille usine
Porte une arme plus grande que son corps
Tu pars de chez toi
Quand ta maison ne te permet plus de rester.
Tu ne quittes pas ta maison si ta maison ne te chasse pas
Du feu sous tes pieds
Du sang chaud dans ton ventre
C’est quelque chose que tu n’aurais jamais pensé faire
Jusqu’à ce que la lame ne soit
Sur ton cou
Et même alors tu portes encore l’hymne national
Dans ta voix
Quand tu déchires ton passeport dans les toilettes d’un aéroport
En sanglotant à chaque bouchée de papier
Pour bien comprendre que tu ne reviendras jamais en arrière
Il faut que tu comprennes
Que personne ne pousse ses enfants sur un bateau
A moins que l’eau ne soit plus sûre que la terre-ferme
Personne ne se brûle le bout des doigts
Sous des trains
Entre des wagons
Personne ne passe des jours et des nuits dans l’estomac d’un camion
En se nourrissant de papier-journal à moins que les kilomètres parcourus
Soient plus qu’un voyage
Personne ne rampe sous un grillage
Personne ne veut être battu
Pris en pitié
Personne ne choisit les camps de réfugiés
Ou la prison
Parce que la prison est plus sûre
Qu’une ville en feu
Et qu’un maton
Dans la nuit
Vaut mieux que toute une cargaison
D’hommes qui ressemblent à ton père
Personne ne vivrait ça
Personne ne le supporterait
Personne n’a la peau assez tannée
Rentrez chez vous
Les noirs
Les réfugiés
Les sales immigrés
Les demandeurs d’asile
Qui sucent le sang de notre pays
Ils sentent bizarre
Sauvages
Ils ont fait n’importe quoi chez eux et maintenant
Ils veulent faire pareil ici
Comment les mots
Les sales regards
Peuvent te glisser sur le dos
Peut-être parce leur souffle est plus doux
Qu’un membre arraché
Ou parce que ces mots sont plus tendres
Que quatorze hommes entre
Tes jambes
Ou ces insultes sont plus faciles
A digérer
Qu’un os
Que ton corps d’enfant
En miettes
Je veux rentrer chez moi
Mais ma maison est comme la gueule d’un requin
Ma maison, c’est le baril d’un pistolet
Et personne ne quitte sa maison
A moins que ta maison ne te chasse vers le rivage
A moins que ta maison ne dise
A tes jambes de courir plus vite
De laisser tes habits derrière toi
De ramper à travers le désert
De traverser les océans
Noyé
Sauvé
Avoir faim
Mendier
Oublier sa fierté
Ta survie est plus importante
Personne ne quitte sa maison jusqu’à ce que ta maison soit cette petite voix dans ton oreille
Qui te dit
Pars
Pars d’ici tout de suite
Je ne sais pas ce que je suis devenue
Mais je sais que n’importe où
Ce sera plus sûr qu’ici


© Warsan SHIRE
Traduction de Paul Tanguy


pWarsan Shire
(1988-aujourd'hui)
Poétesse britannico-somalienne, Warsan Shire est née en 1988 au Kenga, de parents somaliens. Elle a immigré avec sa famille au Royaume-Uni alors qu'elle n'avait que un an. Elle a grandi à Londres et vit aujourd'hui à Los Angeles. En 2016, sa poésie est utilisée par la chanteuse américane Beyoncé pour son film et son album "Lemonade". Son premier recueil Où j’apprends à ma mère à donner naissance a été publié en 2017.



y
Posté le 29/05/2023 - Thème : Poésie / Vie

A la lumière de ses morts

Elle a foi en la vie
à la lumière de ses morts,
leur souvenir la porte
ils la rendent invincible.
Elle a foi en l'Amour
comme en l'océan fou
qui maltraite souvent
mais rend ivre du jour.
Elle a foi en Lui
dans ses yeux d'amant,
dans ses assauts brûlants,
dans le feu de leurs langues.
Sa foi est Poésie,
acte de résistance,
prière en pleine nuit,
Soleil de jouissance.

 

© Parme CERISET


pParme Ceriset
Passionnée de poésie et membre de la Société des Poètes Français, rédactrice à La Cause littéraire, surnommée « la plume Amazone » pour son tempérament très indépendant et son attachement suprême à la liberté. Parme Ceriset navigue entre Lyon et le Vercors où elle puise son inspiration. Son roman autobiographique Le serment de l'espoir - Que la vie souffle encore demain paru chez L'Harmattan, fait écho à son parcours totalement atypique. Elle a grandi avec une maladie rare, a exercé en tant que médecin puis a été sauvée par une greffe des poumons après avoir passé quatre ans sous oxygène. Dans ce roman qui est une ode à la Vie, à l'Espoir, à la Nature, à la Passion, à l'Amour et à la Liberté, elle défend une conception artistique de l'existence en déroulant le récit par petites touches, comme une fresque impressionniste. Parme Ceriset est également dessinatrice. Elle est fascinée par la vie sauvage et le monde animal, par la spiritualité et son expression artistique depuis l'aube immémoriale du monde et de l'humanité. Sur le plan philosophique, elle considère la poésie, selon ses propres mots, comme "un acte de résistance contre le non-sens et la mort". Son Graal absolu est la "liberté libre" de Rimbaud, qu'elle poursuit elle aussi, parfois jusque dans les ténèbres, éclairée par le flambeau inextinguible de sa foi en la vie et en l'Amour universel. Elle se définit comme humaniste, écologiste, féministe et pacifiste. Sa devise : "N'appartiens qu'à toi-même et au souffle du vent." (Extrait de son recueil "N'oublie jamais la saveur de l'aube", 2019). Son dernier recueil Femme d'eau et d'étoiles a été publié en 2021 et vient d'être couronné du Prix Marceline Desbordes-Valmore 2021 par la Société des Poètes Français.



y
Posté le 29/05/2023 | Thème : Nostalgie

L'oubli

Dans mes poings de sable je serre les souvenirs
étouffés entre les doigts, ils cherchent à s'échapper,
Je les relâche lentement pour que le vent les emporte
comme la grâce du corps léger volant
brûlé au milieu de la mer dans le tas de bois
particules dispersées au plus haut du ciel
à moitié effacés par le temps et à moitié par moi.
Au rivage je chuchote quelques mots, quelques vers
et la brise dans l'écho lointain me les ramène
le soleil par delà l'horizon se baigne dans la mer
et change le crépuscule en soir
nostalgie oubliée, nostalgie restée sur le rivage.
Le cœur fatigué ne parle qu'à la lune
Et la lune parle à la mer toute la nuit
des murmures me semblent familiers,
peut-être des soupirs, ainsi je pars l'esprit vide
sur la joue, une larme salée glisse


© Mirela LEKA-XHAVA


pMirela
Leka-Xhava

(1966-aujourd'hui)
Mirela Leka-Xhava est née dans la ville d'Elbasan en Albanie. Passionnée de littérature depuis l'enfance, elle a publié de temps en temps dans des magazines et des journaux avant les années 1990 puis dans le journal "Le mot libre". Elle est diplômée en Langue et Littérature albanaise à l'Université « Aleksander Xhuvani » d'Elbasan. En 1999, elle publie son premier recueil de poèmes "Je ne veux pas l'hiver dans les yeux". Elle vit et travaille à Bordeaux depuis 2002. Elle publie périodiquement des cycles de poésie dans Atunis Galaxy Poetry, Belgique, ainsi que dans plusieurs magazines et journaux prestigieux en Albanie, au Kosovo, en Italie, en Angleterre, au Canada, au Bangladesh, en Tunisie, en République Dominicaine, en Roumanie, etc., ainsi que sur les sites littéraires français. Elle vient de sortir son deuxième recueil « Les Fleurs de la Rue Montesquieu » en langues albanaise-française.



y
Posté le 11/05/2023 | Thème : Beauté / Femme

Prémices d'une expression

Le ciel bleu de la nuit s'est couvert de dentelles
Quand nous avons posé nos corps sur l'infini,
Et que perclus nos sens se sont mis en ombelles ;
Retrouvant dans leur lit un parfum plus béni.

J'aime secrètement respirer l'existence,
Surtout l'encens qui flotte au-dedans la beauté,
Pour enfin m'enivrer de toute sa fragrance
Et de tous les flacons qui font sa royauté ;

Transi de voluptés, embaumé dans l'ivresse,
Je succombe aux coffrets venus de l'Orient :
Le voyage secret d'où jaillit la richesse,
Me rappelle le safre au parfum du Levant.

Mon salon est le centre imaginaire où dorment
Les avenirs maudits que je n'ai pu m'offrir,
Car l'encensoir qui fait les marbres qui me forment
Luxueux et puissant m'a fait m'anéantir.

De son sourire astral qui jamais ne décline,
La beauté svelte et rose enlise mon regard,
Comme l'aube prétend sa vapeur ocre et fine
Que l'on porte à nos sens en souffrant son départ,

J'aime de ses atours la puissance muette :
On croirait que jamais ne s'éteignent ses yeux ;
C'est la muse ou la femme éternelle et secrète,
La poète-oréade esquissant tous les cieux,

Ses idylles feront de mes stances vermeilles
Un pilier d'amour fauve en ce kief sépulcral ;
Et l'ennui, les terreurs, l'immonde en leurs merveilles,
Deviendront précieux tout comme le cristal,

Ils seront les bijoux de ma triste pensée,
Demeurant sans valeur dans des cahiers piteux.
C'est alors qu'une opale à la fibre encensée
Viendra me consoler ; voyez... ce sont ses yeux !

Je serai donc vivant au gré de ses paroles,
Car le parfum des mots est le plus capiteux ;
J'esquisserai le mien au blanc des pages folles
Pour faire rejaillir la nuit des amours bleus.


© Julien QUITTELIER
Poème non retravaillé (de Vespéral à Psyché Strophe), extrait du recueil Vespéral de l'être paru en 2019


pJulien Quittelier
(1991-aujourd'hui)
Ecrivain, poète, romancier et philosophe belge d'expression française, Julien Quittelier à publié une quinzaine d'ouvrages (roman et poésie).



y
Posté le 09/05/2023 | Thème : Lieux / Société

Sous le regard
de Notre-Dame

Sous le regard de Notre-Dame
protecteur de ce jeune homme
pour continuer de vivre encore
quand la mort bouscule l’âme


seul et sans faire trop de bruit
abrité tout au creux du Marais
découvrant chaque singularité
être un adulte blessé en armes


croire aux sursauts de l’espoir
en longeant les rives de la Seine
et un jour quitter la ville mère
avec un émissaire venu d’ailleurs


dans ce Sud qui éclaire tes yeux
les pavés de Paris sous mes pas
quand sur les murailles de la cité
se projette l’ombre du Panthéon


que notre ciel est d’un bleu infini
et le gris de mes ardoises s’efface
redevenir plein soleil à ta lumière
avec la Bastille au fond du cœur



© Christophe PINEAU-THIERRY
Poème publié dans l’anthologie « Paris », Association Luna Rossa, avril 2023


pChristophe Pineau-Thierry
(1965-aujourd'hui)
Travaillant depuis vingt ans dans le domaine de l'accompagnement des personnes et des employeurs sur les sujets du handicap et de l’emploi, Christophe Pineau-Thierry est aujourd’hui formateur et sophrologue. Il anime des ateliers associant la sophrologie à l'écriture. Peintre et photographe, il expose depuis vingt ans. Il réside entre le Vaucluse et le Gard.
Il a publié aux Editions du Cygne les recueils Le regard du jour, Nos matins intérieurs et Ces mots ajustés au cœur, co-écrit avec Philippe Leuckx, ainsi que des textes et des photographies dans différentes revues (Poésie/première, Recours au poème, Lichen, ARPA, Le Journal des poètes…) et dans des recueils collectifs/anthologies (Editions Jacques Flament, PVST?, Luna Rossa…).
Il est membre de la Société des Poètes Français, de la Maison des écrivains et de la littérature et de l’AREAW (Association Royale des Ecrivains et Artistes de Wallonie-Bruxelles).



y
Posté le 09/05/2023 | Thème : Rêve

Eternité

Les pas ne connaissent pas l’abîme
Le corps promène notre ciel
La tempête perd des lambeaux de chair
Plus vague, plus faible encore
Il y a un bleu commencement
Dans ce paysage terrestre
Et un autre qui réclame vengeance
Comme un doigt coupé
Vois juste quelle femme roule
Comme un fuseau
Et son delta copie
Le delta des eaux.

© Max BLECHER
Extrait de Corps transparent (1934) – Traduit du roumain par Gabrielle Danoux.


pMax Blecher
(1909-1938)

Ecrivain roumain Max Blecher est le fils d'un commerçant juif, il part étudier la médecine à Paris après l'obtention de son baccalauréat. En 1928, les médecins lui diagnostiquent le "mal de Pott". Il renonce dès lors à ses études afin de se faire soigner. Il publie un premier texte en 1930 puis contribue à la revue d'André Breton. En 1935, ses parents l'installent dans une maison de Roman, où il continue d'écrire jusqu'à sa mort en 1938. Il entretiendra une correspondance avec des écrivains comme André Gide, André Breton, Martin Heidegger.



y
Posté le 08/05/2023 | Thème : Femme

Vierge moderne

Je ne suis pas une femme. Je suis neutre.
Je suis une enfant, un page, une résolution hardie,
je suis un rai de soleil écarlate qui rit...
Je suis un filet pour poissons gloutons,
je suis un toast porté en l'honneur de toutes les femmes,
je suis un pas vers le hasard et la ruine,
je suis un bond dans la liberté de soi...
Je suis le sang qui chuchote à l'oreille de l'homme,
je suis fièvre de l'âme, désir et refus de la chair,
je suis l'enseigne à la porte de paradis inédits.
Je suis une flamme exploratrice et gaillarde,
je suis une eau profonde mais téméraire jusqu'aux genoux,
je suis eau et feu loyalement, librement unis...


© Edith SÖDERGRAN


pEdith Södergran (1892-1923)
Poétesse finlandaise d'expression suédoise, Edith Sôdergran est considérée aujourd'hui comme l'un des plus grands poètes nordique de ce siècle. Après le décès de son père, mort de la tuberculose en 1907, elle contracte la maladie un an après et sa vie deviendra une alternance entre séjours au sanatorium et rémissions. Les deuils personnels qui l’entoureront ainsi que sa maladie et la faillite familiale marqueront son existence. L’essentiel de son oeuvre témoigne d’une préparation à la mort. De son oeuvre, se dégage une attirance vers la beauté, une fusion avec la nature, et une tragédie en lien avec sa réalité.



y
Posté le 05/05/2023 | Thème : Sensualité / Désir

Les rêves fous

Je rêve de lueurs rousses
Où la pudeur sonne faux


Je rêve à ta bouche douce,
Violente en ses assauts


Je rêve des morsures drues
Aux lenteurs du tempo


Je rêve de chevauchées
Pêle-mêle sur mon îlot


Je rêve nos bras expiés
Soudés dans le jour cru


Je rêve ces cris jetés
Aux murs des impromptus


Je rêve tes yeux altiers
Perdus dans leur verre d'eau


Je rêve tes confessions
Dictées en pente du dos


Je rêve ce monticule
Emmené en crescendo


Je rêve corps funambules
Répondant mot à mot


Je rêve nos insomnies
Dans une nuit mise à flot


Je rêve ces matins gris
Cramés d'un jour trop tôt


Je rêve ces métronomes
Dictant le temps des peaux


Je rêve ces indécences
Noyées en indigo


© Linda CARA-JACOBI


Linda Cara-Jacobi (1973-aujourd'hui)
Linda Cara-Jacobi vit en Suisse. Après des études de Lettres puis de stylisme à Milan, elle revient à Genève et à ses premières amours de plume et d'encrier avec la préparation d'un premier recueil de poésie.


y
Posté le 04/05/2023 | Thème : Nature

Campagne

Tant de paix sous le boisseau,
tant de périls dans l’amande,
tant de fureur dans un bruit d’ailes,
tant de ténébreux hasards
au-devant de la fourmi.


Tant de ciel pour un cyprès,
tant d’alarmes pour une source,
tant d’oubli pour une eau vive.


Tant et tant de routes prêtes
à m’égarer à ma porte.


Faut-il qu’à toi je m’arrête,
pourpre du coquelicot,
seuil secret de ma demeure,
seuil mouvant de ma demeure ?


Si je pouvais vous franchir,
fossés profonds de l’été,
droit j’irais à ma frayeur.


Mais derrière les monts
l’innocence est ma ville.


© Paul CHAULOT


pPaul Chaulot
(1914-1969)
Poète et écrivain français, Paul Chaulot a publié de nombreux recueils dont les deux premiers avant 1940, Espoir (1933) et Le Disque Incolore (1936), étaient plutôt d’inspiration surréaliste. Après-guerre, sa poésie devient plus humaniste. En 1951, il se lie d'amitié avec les auteurs de l'Ecole de Rochefort. Il a reçu le prix Apollinaire pour Contre-terre en 1950. Il a également traduit plusieurs poètes hongrois.



y
Posté le 04/05/2023 | Thème : Vie

Questions en vrac

Parfois je me dis :
À quoi bon m’éveiller ?
Je ne sais pas ce que promet ce jour.


Parfois je me dis :
À quoi bon griffonner ?
Je ne sais pas ce que cèlent les mots.


Parfois je me dis :
À quoi bon pianoter ?
Je ne sais pas ce qu’est cet air sonore !


Parfois je me dis :
À quoi bon tant d’années ?
Je ne sais pas si survivre fait sens.


Parfois je me dis :
À quoi bon le chérir ?
Je ne sais pas ce que c’est que l’amour.


Parfois je me dis :
À quoi bon le chercher ?
Je ne sais pas s’il me cherche en premier.


Parfois je me dis :
À quoi bon lui écrire ?
Je ne sais pas s’il capte mes silences.


Parfois je me dis :
À quoi bon nous étreindre ?
Je ne sais pas si la chair refleurit…


Parfois je me dis :
À quoi bon tout promettre ?
Je ne sais pas quand germent nos absences…


Parfois je me dis…


Mais je ne sais qu’une chose :
vivre est important, il faut s’y tenir
en répudiant nos pourquoi ? imbéciles
pour épouser le réel,
garder confiance en soi,
sourire au pur instant
en disant pauvrement :


« Me voici et je donne ! »

© Michel BELLIN
Extrait du recueil Ce que me confie la nuit, Editions du Net, 2023


Michel Bellin
Avec une trentaine de livres à son actif, Michel Bellin reste résolument auto-entrepreneur. À son compte, sans intermédiaire, sans éditeur ni diffuseur, en tout cas loin des listes des meilleures ventes et des Carremouth prescripteurs ! Comme d’autres font humblement leur pain, il façonne livres et e-books et doit se lever tôt pour pétrir ses mots. Volontiers, il s’en tient à sa recette éprouvée : 10% d’inspiration, 90% de transpiration. Ou, plus noblement écrit : « Si l’inspiration est la sève d’un ouvrage, le labeur est son levain. » En témoigne cette soixantaine de poèmes patiemment ciselés depuis sept ans et ordonnés pour une seconde édition. Car si la poésie reste un art singulier, hélas peu diffusé et souvent intimidant — pourtant le fleuron de la Littérature —, pour notre vaillant ciseleur de textes, le secret de fabrication reste le même. Également sa fierté et sa joie de les partager aux connaisseurs : être lu, pas forcément élu !



y
Posté le 04/05/2023 | Thème : Amour

Amour rouillé

À chaque nouveau jour s'oxyde le métal
De la plus belle histoire depuis le big-bang
Et ton lourd silence est une rouille infernale,
M'emprisonnant dans une irrésistible gangue.


Nos presque un an ne furent que vents et surface,
Ainsi je l'interprète au son des derniers mots.
Ma sidération laisse peu à peu la place
À un vacarme haineux, tout en moi sans repos.


Et j'ai pris le parti, à défaut de comprendre,
D'accepter, au motif, d'un temps fini pour nous.
M’effacer ainsi c'est pire que de me pendre.
Passer de tout à rien, c'est à devenir fou.


Je roulerais au sol, nu, jusqu'au Taj Mahal
Si j'avais une chance de te serrer fort
Mais tout est bien fini et ma raison dévale
Dans un torrent boueux, brisant tous contreforts.


Et j'en suis à penser, juste après ma colère,
Que pouvoir dénigrer tout ce qu'on a connu,
Sans once de douceur, sans regards en arrière,
C'est l'acte d'un monstre ou d'une femme rompue.


Mais qui es-tu alors, ineffable Princesse ?
Rien ne peut te tuer, pas même un mari sot
Qui s'est cassé les dents à te traiter d'ânesse.
Portais-tu donc en toi mon malheur au plus tôt ?


Et viendra ce moment, si dur, de nous revoir,
Pour échanger trois mots et me donner mes clés.
Quelle dévastation de te voir dans ce bar
Et te sentir si loin sans goûter tes baisers.


Alors j'ai décidé de ne jamais écrire
Le premier message et attendre ton mot creux.
Et voilà à peu près ce que me fera dire
En termes moins fouillés, mon désespoir affreux :


"Bonjour Isa, laisse donc les clés à l'accueil,
Je passerai les prendre dans l'après-midi.
Je te souhaite du bien mais évitons l'écueil
D'un contact glacial et d'un malaise infini.


Il m'est juste insupportable de faire comme
Si nous n'avions été que vagues connaissances.
Je t'ai toujours respecté et ton choix m'assomme.
La brûlure en moi, d'une injustice, me lance.


Je ne comprendrai jamais ce choix radical,
À moins qu'un peu d'amour en toi fut si féroce
Qu'il te fit vaciller d'un trompeur piédestal
Où jamais tu ne fus. Que j'aimais ton écorce !


Mais là c'est croire un peu que j'ai compté pour toi
Et ça je suis tout près de ne plus le penser
Et j'ai perdu en l'homme et en nous toute foi
Et te frôler encore me ferait pleurer."


© Jérôme ZED


Jérôme Zed
Après une rupture amoureuse en 2020, Jérôme Zed, sensible aux mots depuis toujours, a tout de suite pris le parti d’écrire un poème par jour afin d'exorciser tous les sentiments et les émotions qui le submergeaient. Il a d'abord écrit sur son amour perdu, sur leur histoire achevée, puis sur d’autres femmes de sa vie, sur ses enfants, sur la nature... Ce projet, protecteur de son intégrité, l'a amené à faire quelques essais de chansons avec refrain et couplets. Aujourd'hui, il continue d'écrire chaque jour sur un cahier. Son blog est en cours de réactualisation.

y
Posté le 02/05/2023 | Thème : Solitude

Chant perdu

Je n’en puis plus de ces jours à la tonne
Jetés en vrac sur le carreau gluant.
L’amour de vivre aujourd’hui m’abandonne :
Je reconnais mon frère en le tuant.


Je n’en puis plus de vivre solitaire
Sans être seul, avec toujours demain ;
D’ensevelir tant de pas sous la terre,
Sans recevoir le prix de mon chemin.


Je n’en puis plus de ces coups, de ces cloches,
De cet appel de femme dans la chair,
Et de ces flots que divisent les roches
Sans parvenir à détruire la mer…
Quel feu du ciel pour cités de vacarmes
Etouffera ce long gémissement
D’une charrette aux roues noyées de larmes,
Empoisonnant la place et le moment ?


Je veux un vent de peur, non de paroles,
Pour faire taire une heure ces oiseaux,
Et dans le creux des branches les plus folles
Figer le front de ces bavardes eaux.


Par les pays muets et par les villes
Enfin glacées de cette vérité,
Par les forêts aux gestes inutiles,
Je gagnerais un empire d’été…


Une grand’plage à courbure de hanche,
Un corps de sable aux bras noirs de midi,
Comme un amour brûlé, comme un dimanche,
Eperdûment, d’île sans Vendredi.


A l’infini, ces bêtes à mirages,
Paissant le sel et dévorant le bleu.
A l’infini, cette absence d’images,
A l’infini, sur la page où lit Dieu.
Plus de maison, d’ouvrage ou de colonne !
La foudre calme y sommeille, sein nu ;
Le souvenir impossible n’y tonne
Qu’en un silence au bord du cri tenu…


J’y referais cette journée en pièces ;
D’un tas sans nom de membres et d’ennui,
Un homme, et de ce vide où tu m’abaisses,
Une raison de déchirer ma nuit.

© Alexandre TOURSKY

Extrait du recueil Connais ta liberté, Editions Robert Laffont, 1943


pAlexandre Toursky
(1917-1970)
Poète français, Alexandre Toursky est né à Cannes d'une mère provençale et d'un père russe, qui la quitte quelques mois après sa naissance. Rédacteur en chef d'un hebdomadaire pour la jeunesse, il se tourne très tôt vers la poésie, s'y consacrant de manière assidue. Il n'a que vingt ans lorsqu'il publie Enfance, son premier recueil. Il fut également un membre très actif du comité de rédaction des Cahiers du Sud. Il est considéré comme le poète du réel et de l'amour qu'il exprime en vers dépouillés, excluant toute forme de grandiloquence. Il meurt en 1970 à Marseille après un terrible accident d'automobile.



y
Posté le 29/04/2023 | Thème : Guerre/Déportation

J'accuse

Au nom du mort qui fut sans nom
Au nom des portes verrouillées
Au nom de l’arbre qui répond
Au nom des plaies, au nom des prés mouillés

Au nom du ciel en feu de nos remords
Au nom d’un père qui n’aura plus son fils
Au nom du livre où le sage s’endort
Au nom de tous les fruits qui mûrissent

Au nom de l’ennemi, au nom du vrai combat
Où l’oiseau avait fait son nid
Au du grand retour de flamme et de soldats
Au nom des feuilles dans le puits

Au nom des justices sommaires
Au nom de la paix si faible dans nos bras
Au nom des nuits vivantes de la mère
Au nom d’un peuple dont s’effacent les pas

Au nom de tous les noms qui n’ont plus de renom
Au nom des lois remuantes, au nom des Voix
Qui disent oui qui disent non
Au nom des hommes aux yeux de proie.

Amour, je te livre aux premières fureurs de la Joie.

 

© Jean CAYROL


Jean Cayrol (1911-2005)
Poète, romancier, essayiste et éditeur français, Jean Cayrol se consacre à l'écriture dès son plus jeune âge, et une revue littéraire avec Jacques Dalleas. C'est la voie qu'il choisit après l'échec de son doctorat en droit. Résistant durant la Seconde guerre mondiale, il est arrêté sur dénonciation en 1942 et déporté au camp de concentration de Mauthausen-Gusen.
Cette expérience a nourri ses Poèmes de la nuit et du brouillard. Récompensé par plusieurs grands prix littéraires, il a été membre de l'Académie Goncourt de 1973 à 1995. Il a également participé, comme scénariste ou réalisateur, à quelques films et téléfilms, dont au moins cinq courts-métrages. L'un de ces derniers, Nuit et brouillard, dont il a écrit le commentaire, a vivement impressionné des générations entières de spectateurs depuis 1955.



y
Posté le 28/04/2023 | Thème : Femme

Soumises

Pour un cheveu qui dépasse
Un voile qui ne cache pas la face
Un regard tendre, fugace
C’est la prison pour ces femmes… Hélas !


Quand reverrons-nous ces sourires,
Ces regards qui ne veulent pas mourir
Elles doivent seulement obéir
Se soumettre, tout cela sans rien dire.


Des voix se lèvent pour les soutenir
Des cheveux sont coupés pour leur offrir
Une chance de liberté, elles doivent s’en sortir.
Ces femmes ne sont pas là que pour servir.


Exigeons pour elles un peu de liberté,
Le droit de vivre, de s’exprimer
Hommes, femmes égalité…
Apprécions celle que nous avons gagnée.

 

© Antoine QUESSON


Antoine Quesson (1950-aujourd'hui)
Enseignant à la retraite, Antoine Quesson prend plaisir à s’exprimer avec des mots qui soignent nos maux, des mots qu'il triture, des mots qui lui parlent, des mots qu'il déforme… Que la langue française est riche de mots qui ont du sens, aussi, il est pour l’augmentation des sens, du bon sens... Il a publié plusieurs ouvrages chez TheBookEdition.



y
Posté le 25/04/2023 | Thème : Travail - Terre

En travaillant la terre

Le vieux est là
Muet comme une souche
Il attend que le nuage passe
Ses outils sont comme des promesses
Un supplément de force
Malgré les années
Chaque muscle est à sa place
Pour faucher
Bêcher
Ratisser

Je regarde ma main
Pas un pli
La finesse des doigts qui ne trompe pas
Elle n’a donc servi à rien
Le vieux ne me le dit pas
Trop brave
Sa poigne montre l’exemple
Mes pas deviennent les siens

Je suis vite à la traîne
Sans un mot
Le voilà qui porte deux fois plus que moi
J’ai vu la ville de près ses fulgurances
Ses éclats mystiques
Ses passions au rabais
Rastignac du pauvre
J’ai croisé le fer avec elle
Ne blessant que moi-même

Le vieux n’a rien vu lui
Aucune lutte
Une simple ligne d’horizon
Des remparts de forêts sous un ciel vide
Il ne goûtera jamais à l’ennui qui élève
Aux délices de la foule
Son champ sera sa seule ivresse
Et pourtant lui en a palpé de la terre
Sué pour la rendre fertile
Son nom restera une empreinte

Que laisserai-je dans le bitume ?
Des projets froissés
Des rêves léthargiques…
Au loin je vois des tours
Les murs se rapprochent
Que restera-t-il du vieux
Quand même les arbres alentour seront maigres comme mes dix doigts ?

© Grégory RATEAU
Extrait du recueil Conspiration du réel, Editions Unicité, 2022


pGrégory Rateau
(1984-aujourd'hui)
Poète, écrivain et réalisateur français, Grégory Rateau publie ses poésies dans plusieurs revues. Après des voyages en Irlande, au Liban puis au Népal, il vit entre Paris et Bucarest où il est le rédacteur en chef et le directeur d'un média d'information en ligne, LePetitJournal de Bucarest. Parrain pour différents concours francophones, ce poète "révolté" et "engagé" par l'écriture et seulement par elle, questionne sans cesse le réel comme ses grands modèles : Fondane, Cendrars, Rimbaud, Ginsberg, Larbaud, Prevel.



y
Posté le 25/04/2023 | Thème : Artiste

Le virus de la scène

Dans ce sacré métier on bannit la retraite,
Et si l’on chante encor, c’est pour ne pas mourir,
Alors entre tambours, montent, entre trompettes,
La flamme toujours vive et l’éternel plaisir.

Certains font leurs adieux à l’arrivée de l’âge,
Telle Sheila hier et Sardou récemment ;
Les larmes dans les yeux ils ont tourné la page,
Puis ils l’ont retournée avec empressement.

Ne pouvant supporter de vivoter dans l’ombre,
Vint la mélancolie, mère de dépression,
Ils avaient l’impression d’être un bateau qui sombre,
Car ne s’éteint jamais le feu d’une passion.

Aznavour a chanté jusqu’ à la dernière heure,
De zénith en zénith, comme il l’avait prédit,
Et puis il a gagné sa dernière demeure
Sur l’air d’emmenez-moi au bout… du paradis.

Même Sylvie Vartan bientôt octogénaire,
Si elle danse moins, continue à chanter,
Et si ses airs n’ont plus le rythme de naguère,
Ses refrains alanguis fleurent l‘intimité.

D’autres jeunes vieillards sont encor dynamiques
Chaque saison pour eux est la saison du vert,
Le zizi de Perret est en forme olympique,
Quand le printemps revient pour Aufray en hiver.

La scène est leur patrie, le public leur famille,
Les chansons leur opium, les concerts leur nectar,
Au-delà de minuit, pour eux le soleil brille,
Tant que chante la vie, il n’est jamais trop tard.

Alors ils monteront encore sur les planches ;
Sur les scènes d’hier où leur talent est né,
On les applaudira, leur voix fût-elle blanche,
Et un jour leurs adieux seront inopinés.


© Jacky COURALET


pJacky Couralet
(1953-aujourd'hui)
Retraité de la Fonction Publique Territoriale, Jacky Couralet est un passionné de poésie. Eclectique, il écrit dans tous les registres : de la veine austère à la veine satirique, voire loufoque ! Il adore aussi le scrabble et a une approche ludique des activités cérébrales.



y
Posté le 25/04/2023 | Thème : Amour

Sonnet

Tu n'as pas plus d'attrait que n'en ont les lilas
Ou bien le chèvrefeuille, et tu n'es pas plus belle
Que les jeunes pavots dans leur blancheur nouvelle.
Et, bien que devant toi, je m'incline très bas,

 

Ta beauté, je la puis supporter. Mais mes pas
A droite, à gauche, vont, et mon regard chancelle,
Car je ne trouve pas de refuge contre elle.
Ainsi le clair de lune imprègne mon coeur las.

 

De même que celui qui, dans sa coupe, ajoute
Au délicat poison chaque jour une goutte,
Jusqu'à boire dix fois la mort impunément,

 

Habituée à ta beauté, je la consomme
Dose augmentée ainsi de moment en moment,
Et bois sans en mourir ce qui tua des hommes.


© Edna ST. VINCENT MILLAY


pEdna St. Vincent Millay
(1892-1950)
Poétesse et dramaturge américaine, Edna St. Vincent Millay a été la troisième femme à recevoir le Prix Pulitzer de la poésie. Elle était connue pour son style de vie bohème et non conventionnel et ses nombreuses histoires d'amour. Elle utilisait le pseudonyme de Nancy Boyd. Elle a écrit de la poésie, des romans, des articles anti-militaristes et féministes, des pièces de théâtre et même un livret d'opéra.



y
Posté le 25/04/2023 | Thème : Nostalgie

Les années quarante

Tout semblait possible
avaler les virages
avec un coup de frein suprême
galoper debout sur la selle
et tant de splendides choses
plus nobles plus favorables
se montraient à la hauteur des yeux.
Maintenant les années tournent rapides
dans des ciels sans présages
tu t’éveilles de bleus édredons
dans une pièce aux meubles à miroirs
tu étudies les correspondances des trains
passes un seuil fleuri de sauge rouge
tu lis « Salut » sur le paillasson
puis sors en bras de chemise
secouer la salade dans le torchon.
La ligne de vie
dérive se tait bute
saute défile
entre les pâles monts des dieux.

© Luciano ERBA
Extrait du recueil Le pré le plus vert, 1977
Traduit de l'italien par Gérard Cartier, révision par Elena Luchetti


pLuciano Erba
(1922-2010)
Poète, traducteur et critique littéraire italien, Luciano Erba s'inscrit dans la « quatrième génération » d'un courant littéraire appelé Linea lombarda (ligne lombarde) par la critique italienne. Il est l'auteur de recueil de poésies comme L'ippopotamo (L'Hippopotame, 1989), dont la version française de Bernard Simeone est préfacée par Philippe Jaccottet en 1992, et de traductions d'auteurs français comme Jean Racine, Henri Michaux et Francis Ponge.



y
Posté le 25/04/2023 | Thème : Animaux

La maison tombale du chien (Haig, un bulldog anglais)

J’ai quelque peu changé mes habitudes ; je ne peux plus
Courir avec toi les soirées le long du rivage,
Sauf dans une sorte de rêve ; et toi, si tu rêves un instant,
Tu m’y verras.

Alors laisse encore quelques temps les traces de pattes sur la porte d’entrée
Là où j’avais l’habitude de gratter pour rentrer ou sortir,
Et tu ouvrais vite ; laisse sur le sol de la cuisine
Les traces laissées par mon écuelle.

Je ne peux plus m’allonger à côté de ton feu comme j’en avais l’habitude
Sur cette pierre chaude,
Ni au pied de ton lit ; non, durant toutes les nuits
Je m’allonge seul.

Mais tes tendres pensées m’ont allongé dehors à moins de deux mètres
De ta fenêtre là où la lueur du feu si souvent ravive,
Et où tu t’assois pour lire — et j’ai si souvent peur que tu sois peiné pour moi —
Chaque soir la lumière de ta lampe s’étend jusqu’à moi.

Vous, femmes et hommes, vivez si longtemps, c’est difficile
De penser que vous allez mourir un jour.
Un petit chien se fatiguerait, à vivre si longtemps.
J’espère que lorsque vous reposerez

Sous terre comme moi vos vies apparaîtront
Aussi bonnes et joyeuses que la mienne.
Non, mes chers, c’est trop d’espoir : on ne vous veille pas autant
Que je ne l’ai été.

Et vous n’avez jamais connu l’attention passionnée
Et fidèle que j’ai reçue.
Vos esprits sont peut-être trop actifs, trop fluctuants…
Mais pour moi vous étiez vrais.

Vous n’avez jamais été des maîtres, mais des amis. J’étais votre ami.
Je vous ai vraiment aimés, et j’ai été aimé. Un amour profond dure
Jusqu’à la fin et bien au-delà de la fin. Et si c’est ma fin,
Je ne suis pas seul. Je n’ai pas peur. Je suis toujours vôtre.

© Robinson JEFFERS

Extrait du recueil Le Dieu sauvage du monde (Wildproject, 2015) – Traduit de l’américain par Matthieu Dumont.


pRobinson Jeffers
(1887-1962)
Poète et dramaturge américain, Robinson Jeffers est connu pour son œuvre évoquant la beauté de la nature et pour son antagonisme envers la société humaine. On le connait également pour ses poèmes courts et il est considéré comme une icône du mouvement écologiste. Son pessimisme envers l'humanité le conduit à se retirer peu à peu de la société et à entrer dans un face à face tragique avec la nature. L'inspiration de sa poésie est puisée dans la beauté sauvage de la côte californienne, dans la littérature antique, les tragiques grecs, la philosophie nietzschéenne, le pessimisme schopenhauerien et spenglerien.



y
Posté le 25/04/2023 | Thème : Lieux

Île

Je n'ai que toi coeur de ma race.

L’amour que j’ai de toi m’attriste,
ô ma terre, quand le soir laisse filer
d’obscurs parfums d’oranges,
de lauriers roses et que, serein,
le torrent charrie des roses qu’il emporte
presque jusqu’à l’embouchure.

Mais quand je me tourne vers tes rives
et qu’une douce voix chantante
s’élève d'une rue pour m’appeler craintive
je ne sais si me touche l’enfance ou l’amour
ou l’angoisse d'autres cieux
et je me cache dans les choses perdues.



© Salvatore QUASIMODO
Extrait de Et soudain c’est le soir, Librairie Elisabeth Brunet, Rouen, novembre 2005. Traduit de l'italien par Patrick Reumaux.


pSalvatore Quasimodo
(1901-1968)
Ecrivain et poète italien, Salvatore Quasimodo s'inscrit à l'École polytechnique de Rome, il étudie également le latin et le grec à l'Université. Mais pour des raisons financières, il ne peut pas terminer ses études. Employé dans l'administration du génie civil, il travaille dans plusieurs régions d'Italie. Ses premiers recueils paraissent dans les années 1930. En 1938, il devient rédacteur en chef de l'hebdomadaire Tempo, et trois ans plus tard est nommé à la chaire de littérature italienne au Conservatoire Giuseppe Verdi de Milan. Il a été lauréat du prix Nobel de littérature en 1959.



y
Posté le 25/04/2023 | Thème : Inclassables

La porte

J’ai oublié la porte
Elle était de pierre
Ma bouche était de bois


J’ai oublié l’eau
Elle venait de ces yeux oubliés
Elle était de sable


Où est la porte
j’ai oublié mes pas
c’étaient l’or et le vent


La porte est froide
on n’entre pas on meurt
ma bouche était de bois


Elle était de sable
Elle était de pierre
J’ai oublié l’eau


L’or l’oubli tenace
Un geste qui soit musclé
quand on meurt interdit


Le seuil sur la bouche
Les pas dans un refrain
La porte est froide.

© Tchikaya U TAM'SI

Extrait de La veste d'intérieur, 1977


pTchikaya U Tam'si
(1931-1988)
[Nom de naissance : Gérald-Félix Tchicaya)
P
oète congolais,
Gérald-Félix Tchikaya passe son enfance à Pointe-Noire, puis fait des études en France. Il y fait paraître ses premiers poèmes dès 1955. Il prend en 1957 le pseudonyme de U Tam'si (en langue vili celui qui parle pour son pays). A 24 ans, il publie son premier recueil, Le mauvais sang, (inspiré de Rimbaud) et il est unanimement considéré comme le poète africain le plus doué de sa génération. En 1960, au moment des indépendances africaines, il retourne dans son pays, il met sa plume au service de Patrice Lumumba, mais celui-ci est assassiné ; cela le convainc de partir. Son écriture s'inscrit dans la décolonisation et la lutte contre le racisme et les discriminations sans pour autant faire partie du mouvement de la négritude. Il travaille à l'UNESCO puis prend une retraite anticipée en 1986 pour se consacrer entièrement à l'écriture.



y
Posté le 25/04/2023 | Thème : Nostalgie - Amour

J'ai descendu...

J’ai descendu, en te donnant le bras, plus d’un million d’escaliers,
et maintenant que tu n’es plus là c’est le vide à chaque marche.
Même ainsi notre long voyage a été court.
Le mien dure encore, et je n’ai plus besoin
des correspondances, des réservations,
des embûches, des déboires de qui croit
que la réalité est celle qu’on voit.

J’ai descendu des millions d’escaliers en te donnant le bras,
et non parce que quatre yeux y voient sans doute mieux.
C’est avec toi que je les ai descendus, sachant que, de nous deux,
les seules vraies pupilles, malgré leur épais voile,
c’étaient les tiennes.

© Eugenio MONTALE
Traduit de l'italien par Patrice Dyerval Angelini


pEugenio Montale
(1896-1981)
Poète italien, Eugenio Montale reçoit le prix Nobel de littérature pour "pour sa poésie distinctive qui, avec une grande sensibilité artistique, a interprété les valeurs humaines sous le signe d'une vision de la vie sans illusions". Egalement traducteur, Montale consacre du temps pour rassembler ses articles quotidiens, ses proses de voyage, ses confessions, ses notes et ses essais lettrés.



y
Posté le 25/04/2023 | Thème : Animaux

Le mauvais chien

Je veux rester dans ma niche et ne voir personne.
Je veux garder mon os et le ronger seul,
à petits coups, jusqu’à en faire un chef-d’œuvre.


Chaque nuit, j’y travaillerai.
Je n’ai nul besoin de lumière,
mes dents sont des outils complets.
Si j’ai froid, je hurlerai peut-être
et me lamenterai d’être délaissé.


Au moindre bruit de pas,
pour ne pas subir l’humiliation d’une main compatissante
sur mon poil sensible,
je ferai le mort, respirant à peine,
à l’écoute du seul secours que j’attends.


© Gisèle PRASSINOS


pGisèle Prassinos
(1920-2015)
Née à Constantinople, Gisèle Prassinos est une poétesse, romancière, novelliste et artiste plasticienne d'origine grecque par son père et italienne par sa mère. Ses premiers poèmes écrits à quatorze ans font l'admiration des surréalistes, dont André Breton et Paul Eluard séduits par « le merveilleux de sa poésie et sa personnalité de femme-enfant. » Elle est également connue pour ses dessins et ses « tentures », des œuvres plastiques réalisées à l'aide de morceaux de tissu de couleur découpés.